C’est sans réelle surprise que la liste Beirut Madinati a été battue hier lors des élections municipales de Beyrouth. Si quelqu’un l’avait publiquement déclaré durant la campagne, il se serait pratiquement fait lynché. Cependant, cette défaite doit être l’occasion d’une lecture réaliste de la compréhension des causes. Beirut Madinati n’avait aucune chance de gagner mais a démontré qu’en dépit de toutes les manoeuvres qui ont eu lieu pour contrer ce mouvement, la société civile désormais fait peur à une certaine classe politique.
La première cause de cette défaite est dans la force même démontrée par la coalition de la société civile face à la coalition des partis politiques. Une campagne, cela ne se mène pas sur des réseaux sociaux mais auprès des électeurs. Nombreux étaient ses partisans qui n’étaient même pas votants à Beyrouth. Il leur convenait mieux d’observer au lieu de s’attaquer parfois même entre eux même dès que s’exprimait une idée qu’ils trouvaient contraire mais qui faisait avancer le débat public. Nulle personne n’est parfaite.
L’absence sur le terrain des électeurs de Beyrouth face à la machine électorale bien rodée de ces partis politiques souvent liés à des caractéristiques confessionnelles était une grossière erreur. Beirut Madinati n’était heureusement pas confessionnelle mais face à eux, le collège électoral l’est. 40% de la population de Beyrouth est sunnite par exemple et acquise au Courant du Futur d’une manière ou d’une autre. Il suffit donc d’un mot d’ordre confessionnel pour qu’une grande partie de ces électeurs fassent violence à leur propre intérêt pour aller suivre un mot d’ordre. Au-delà de Beyrouth, ce même constat existe sur l’ensemble du territoire libanais. Les partis politiques sont devenus des gardiens de l’ordre confessionnel en place. Les remettre en cause reviendrait, pour certains malheureusement à renier la religion. Un travail sur le terrain est nécessaire afin de changer cet état d’esprit.
La nonchalance d’une grande partie de la population s’explique aussi parce que marquée par la culture du Malachii et de l’impunité face aux crimes. Combien de fois, on entend dire dans la rue face à l’innommable, juste un « C’est Dommage ». Il n’y a plus de capacité réelle de mobilisation d’une grande partie de la population, comme le démontre le caractère restreint à Beyrouth des manifestations de l’été dernier. Le Libanais le fait sur Facebook, cela suffit, d’où d’ailleurs la forte mobilisation en faveur de Beirut Madinati sur Beyrouth et non sur le terrain électoral. Les réseaux sociaux sont inconsciemment perçus comme un terrain sécurisant ou l’ont ne se fait pas taper dessus par les Forces de Sécurité en cas de manifestation ou encore, pour les personnes agoraphobes, où l’on ne mélange pas en terme de classe sociale. Il y a des unicité en terme religieuses mais pas de mixité sociale aboutissant à un échange de point de vue concernant les conditions socio-économiques par laquelle passe des segments de la société. Cela abouti à une cassure sociale. Combien de fois a-t-on pu des accusations parfois ridicules comme le fait que Beirut Madinati était une coalition bourgeoise ou que la liste de l’ancien Ministre des Télécommunications et du Travail Charbel Nahhas était un communiste. Des visions erronées qui sont entretenues pour diviser et non rassembler en fin de compte parfois même par les acteurs eux-même, pensant ainsi engranger quelques voix. Une élection se gagne par le rassemblement sur des enjeux communs et non la division. Les facteurs de rassemblements étaient pourtant présents, à commencer la lutte contre la corruption, la dénonciation de l’extermination du tissu social et économique local via une augmentation irrationnelle des prix du marché de l’immobilier dans la capitale, entretenue artificiellement par des mafias de l’immobilier et qui poussent à l’exil de nombreux beyrouthins de souche, la destruction du patrimoine local, une identité propre à rassembler comme on a pu le voir dans l’affaire de Ras Beyrouth ou encore de l’Hippodrome Romain de Wadi Abu Jmil et du Port Phénicien de Minel el Hosn. Ce rassemblement n’a pas été effectif par certains acteurs des électeurs eux-même qui pensaient peut-être aboutir à des résultats en solo.
Autre point, l’obsolescence d’un système politique. Seuls 20% des électeurs ont fait le déplacement à Beyrouth contre 49% dans la Békaa par exemple où les enjeux étaient plus locaux. Il convient de s’interroger sur les causes de cette forte abstention alors que des élections locales, généralement partout dans le Monde voir même dans la Békaa, mobilisent fortement les électeurs. Cette cause se trouve dans le système électoral même, avec un déni de voter là où l’on réside et où on devrait être les premiers concernés par les services municipaux.
Tout comme les élections parlementaires, les élections municipales aboutissent à des structures politiques coupées de la volonté populaire en raison d’un fort d’abstention. Moins de 50% des électeurs qui se déplacent ne suffisent pas à prétendre à la légitimité d’un pouvoir politique? La réponse est assurément non et il convient de comprendre comment est-on arrivé à une délégitimisation des structures politiques tant locales que nationales?
Est-ce à cause d’un la complexité du scrutin? Faut-il rappeler que même un ancien premier ministre hier s’est trompé d’urne. Ou est-ce en raison tout simplement du fait que la majorité de la population libanaise ne réside plus à son « domicile électoral » voir réside à l’étranger. Comment voter pour des représentants que cela soit à une municipalité ou au Parlement quand on ignore les enjeux locaux? Le sacrosaint principe de proximité de la représentation politique au Liban est donc remis en cause. On ne peut plus parler de démocratie.
Le système politique au Liban est désormais coupé de la réalité électorale sur le terrain et ne fait qu’exprimer que l’interêt privé de quelques personnes capables de manipuler les résultats dans un sens ou dans un autre.
Les enjeux des élections municipales de Beyrouth dépassaient également le simple plan local. Les partis politiques ne pouvaient se permettre de perdre. Largement décrédibilisés par les derniers scandales et le refus de l’organisation d’élections parlementaires qu’ils risquaient de perdre face au raz le bol de la population sur le plan national, les élections beyrouthines constituaient un test grandeur nature dans lesquelles, les alliances politiques les plus contre naturelles comme celles du Courant Patriotique Libre et du Courant du Futur ne pouvaient que se faire face à la société civile. Tout était bon pour y arriver.
Sans espoir de changement, la mobilisation civile ne s’effectue pas et ces partis l’ont bien compris. Les mouvements issus de la société civile durant l’été, reflétant un large rejet de la classe politique suite à la crise des déchets avait démontré une césure entre les milieux politiques et le terrain. Il fallait donc reprendre en main le terrain, casser la dynamique sociale pouvant aboutir à la chute du système politique et mafieux actuellement en place. C’est chose à laquelle, ces mouvements politiques se sont attelés depuis l’été 2015. Tous les moyens étaient donc bons, recours à la justice militaire pour troubles de l’ordre public au lieu de la justice civile, recours aux menaces et à la violence durant les manifestations de l’été mais cela ne suffisait pas.
Il y a donc eu durant ces élections implication directe dans le processus avec notamment des recours à l’achat de voix, des recours à la violence, on peut également noter le bourrage d’urnes parfois, le refus même de responsables de bureaux de vote de bulletins opposés à la liste de la coalition politique comme à Ras Nabeh selon certaines rumeurs qui pourraient être fondées. Dans une démocratie réelle, tout cela devrait aboutir à l’annulation des résultats proclamés hier mais en dépit de toutes les preuves circulant sur les réseaux sociaux via des témoignages directs, la Justice indique ne pas avoir reçu de plaintes au sujet de la manipulation du processus électoral au lieu de s’en saisir par elle-même. Le système est donc sclérosé dans son ensemble sans aucune manière d’être réformé et caractérisé par un grand désespoir poussant encore plus les élites pensantes de ce pays à le quitter.