Site icon Francois Bacha

Ce double discours Ă©conomique libanais

La situation Ă©conomique d’un pays est tributaire pour une grande part Ă  un aspect psychologique mais au Liban, il semblerait que cet aspect soit prĂ©pondĂ©rant alors que la situation rĂ©elle est beaucoup plus grave que ce que le public ressent.

C’est seulement face Ă  une menace de shutdown qu’un gouvernement a pu Ă©tĂ© formĂ©. En effet, les mĂ©canismes constitutionnels ne permettent pas aux institutions publiques de fonctionner plus d’un certain temps avec les salaires et obligations de l’état soient payĂ©s. L’adoption d’un budget en 2018 avait en effet annulĂ© les dispositions « exceptionnelles » qui avaient tout de mĂȘme durĂ©es plus de 10 ans puisque adoptĂ©es par le gouvernement Saniora qui permettaient Ă  l’état de fonctionner en ayant une partie de ses mĂ©canismes non fonctionnels.

Pour revenir Ă  l’économie, l’arrivĂ©e d’un nouveau gouvernement, face Ă  ces menaces de shutdown a quelque peu dĂ©tendu la situation. Cela est pour l’aspect psychologique de la situation. C’est l’équivalent d’un panadol qu’on donne Ă  un patient quand il a de la fiĂšvre.

Lire Ă©galement ailleurs

Le Liban face au spectre d’une restructuration de dette dans les Ă©chos.fr

Cela ne veut en aucune maniĂšre dire qu’il est guĂ©ri. L’état peut dĂ©sormais honorer ses obligations et le paiement de ses dettes mais cela n’a fait que remettre Ă  plus tard des questions qui s’avĂšrent ĂȘtre cruciale.

On assiste un dĂ©calage qui ne cesse de s’agrandir entre les tenants d’un discours officiel devant son public et les spĂ©cialistes Ă©conomiques, voir mĂȘme des organisations internationales qui soulignent de plus en plus que les fondamentaux de notre Ă©conomie se dĂ©gradent, sans que des mesures correctives immĂ©diates soient prises et cela est la rĂ©alitĂ©.

On a ainsi l’impression d’une voiture dont les conducteurs continuent Ă  accĂ©lĂ©rer, sachant pertinemment qu’un mur se trouve en face et ne souhaitant pas Ă©viter le crash avec ce dernier.

Mais ne vous inquiĂ©tez pas pour les tenants du discours officiel, celui qui est optimiste, peut se le permettre. En cas de crise comme vers laquelle le Liban s’achemine, fort des informations dont il dispose, il a dĂ©jĂ  pris en considĂ©ration les risques et les dispositions pour ne pas subir la crise Ă  venir sur ses portefeuilles personnels.

Certes, on pourrait ne considĂ©rer que de bonnes nouvelles, 2 millions de touristes, le Qatar s’offre 500 millions de dollars en bons du trĂ©sor, le Ministre des Finances rĂ©fute toute volontĂ© de restructurer la dette, pas de dĂ©valuation selon le gouverneur de la Banque Centrale, mais cela est vite aller en besogne quand on examine nos fondamentaux, comme la hausse des taux d’intĂ©rĂȘts sur les bons du trĂ©sor, le nombre de faillites puisque le Liban n’est pas un pays compĂ©titif, avec de nombreux secteurs en crise, comme l’immobilier, le taux de croissance en berne de maniĂšre rĂ©guliĂšre, ou encore le taux de chĂŽmage qui ne cesse de monter pour concerner quasiment aujourd’hui la moitiĂ© de la population active.

Ces chiffres sont rĂ©els, scientifiques, cruels. C’est cela la rĂ©alitĂ© Ă  laquelle nous sommes confrontĂ©s.

Et ne pas les affronter, c’est encore aggraver la situation. L’argent accordĂ© par le Qatar pourrait nous permettre de repousser certaines Ă©chĂ©ances de seulement 1 an. Pire encore, le Liban doit faire face au paiement de 15 milliards de dollars cette annĂ©e, une somme dont nous ne disposons pas. Un SWAP voir une restructuration de la dette publique s’avĂšre nĂ©cessaire.

Ces risques se reflĂštent toujours par exemple sur les emprunts publics dont les taux en 2019 atteindront 10.5% au lieu de 7.5% en 2018, aggravant encore notre dĂ©ficit public. Nous assistons Ă  un vĂ©ritable cercle infernal dont on ne sait sortir. C’est cela le plus grave.
Et en dépit de cette situation, on continue à prétendre bien de belle choses. « Lebnan Ahla Balad », comme si des slogans pourraient non pas arranger les choses mais en tout cas nous faire perdre la notion de la réalité.

On dirait que l’État est dĂ©sormais une personne accoutumĂ©e Ă  des substances proches de la drogue, la dette, jusqu’à l’overdose qui ne pourrait plus trop tarder, mais avec des consĂ©quences graves, comme le dĂ©montre la dĂ©gradation des notes attribuĂ©es Ă  notre endettement Ă  long terme par l’agence Moody’s en raison d’un dĂ©faut de paiement.

DĂ©faut de Paiement, dĂ©valuation, des mots qui fĂąchent et qu’il ne faut surtout pas entendre

Le Mot Défaut de Paiement est désormais lùché, sur la place publique, tout comme le mois dernier le mot dévaluation faisait les grands titres.

La dĂ©valuation est une chose grave mais pas aussi grave d’un dĂ©faut de paiement. La dĂ©valuation peut avoir des effets moindres si on met en oeuvre des mesures pour conserver le pouvoir d’achat, par exemple en limitant les marges des importateurs ou les taxes.
Le dĂ©faut de paiement est beaucoup plus grave parce qu’il s’agit tout simplement dans ce cas, d’un Ă©tat qui ne peut plus respecter ses obligations financiĂšres ni honorer ses employĂ©s.

Les investissements dans la dette libanaise sont dĂ©sormais relĂ©guĂ©s aux obligations pourries avec un classement Caa1 sur l’échelle de Moody’s. Peut-ĂȘtre qu’on va nous expliquer que cela n’est pas grave et qu’on finira par s’en accommoder. On s’est dĂ©jĂ  tellement de fois accommoder de choses plus graves les unes que les autres.

Pourtant, à ne pas vouloir mettre en place les mesures pour les éviter en simplement oublier la réalité, nous finirons bien y arriver

Cette rĂ©alitĂ©, nous ne pouvons plus l’oblitĂ©rer par de beaux discours, emprunts d’optimisme. Un investisseur ne peut ĂȘtre que sĂ©rieux, rational et considĂšre des Ă©lĂ©ments comme le risque que reprĂ©sente ces investissements. Il n’est nullement question d’investir au Liban « par patriotisme » ou « parce qu’on aime ce pays », comme ce qu’on entend ici ou lĂ  de la part de personnes, qui, quand on Ă©voque des critĂšres scientifiques, critiquent le fait dĂ©jĂ  qu’on ferait alors peur Ă  ces investisseurs potentiels. Il y a va du sĂ©rieux du professionnalisme des acteurs qu’ils soient institutionnels, comme le ministĂšre des finances, la BDL ou l’IDAL par exemple, de mettre en garde contre ces dĂ©rives et de proposer et surtout d’appliquer des recommandations pour amĂ©liorer ces fondamentaux au lieu de simplement dĂ©clarer que tout va bien et qu’on vit dans le meilleur des mondes.

Il faut dĂ©sormais se retrousser les manches, travailler, amĂ©liorer la compĂ©titivitĂ© de l’économie libanaise et – au cas oĂč on serait traitĂ© d’éternels pessimistes – des opportunitĂ©s existes. Il ne s’agit pas de quĂ©mander ou de mendier une aide, ici ou lĂ  mais d’agir. Pour cela, un inventaire rĂ©aliste se doit d’ĂȘtre fait.

Il ne s’agit donc pas d’ĂȘtre optimiste, dĂ©magogue, patriotique ou pessimiste mais rĂ©aliste. Il s’agit d’affronter la situation et de mettre en Ɠuvre les mesures nĂ©cessaires. Le discours du rĂ©alisme Ă©conomique doit apparaitre parce qu’il y a de la survie de la population qui ne pourra que comprendre qu’on devra fatalement faire de grands sacrifices. Ce sacrifice devra ĂȘtre partagĂ© par des personnes plus nanties qui ont largement bĂ©nĂ©ficiĂ© d’une sĂ©rie de mesures qui ont maintenu ce train fou aller encore plus vite, droit vers le mur.

EspĂ©rons que ce gouvernement soit formĂ© de personnes de cette trempe qui oseront affronter la situation et non Ă  remettre Ă  plus tard quitte Ă  aggraver les choses, les mesures nĂ©cessaires. Et pour l’heure, la reconduction du Ministre des Finances, Ali Hassan Khalil Ă  la tĂȘte de son ministĂšre augure du plus mal. On a simplement repris les mĂȘmes personnes pour une politique qui nous conduit droit au mur.

Lire Ă©galement

Quel investisseur souhaiterait réellement vivre au Liban quand les libanais le quittent?

Quitter la version mobile