Au Pays du Hezbollah

Après notre virée à Tyr, nous nous sommes rendus à Nabatiyeh par les petites routes de montagnes, passant par ce que la presse internationale appelle « Le Pays du Hezbollah » et y rejoindre un ami, Houssam Mroueh que nous connaissons depuis les funestes évènements de juillet 2006; lors du conflit israélo-libanais de l’époque.

Nous sommes passés successivement par Qasmiyeh dont le pont construit sur le Litani sépare le gouvernorat du Sud Liban de celui de Saïda prenant ensuite la direction de Zrariyeh aux riches maisons, en passant par des villages plus modestes comme Arzay dont les résidents sont bien hospitaliers et pleins de bonne volonté si vous vous perdez quelque peu sur la route. Bon on y va certainement avec nos préjugés, intoxiqués par les articles de presse de journalistes pressés comme on pourrait dire, nous avons donc évité de prendre des photographies durant le trajet mais cela contraste fortement par rapport à cette hospitalité sudiste.

Arrivés à Nabatiyeh, direction une place de la localité pour retrouver Houssam. Première impression? Je m’attendais à un petit village comme en existent tant d’autres au Liban, j’ai été surpris par la taille de l’agglomération actuelle. Centres commerciaux actuellement en construction, parcmètres pour chaque place bien délimitée en plus, conducteurs mieux disciplinés que dans nos régions, bref de l’ordre et non l’agression habituelle comme au Kesrouan ou encore à Beyrouth de personnes pressées d’occuper votre place avant même que vous ne soyez partis.

Nabatiyeh n’oublie pas ses racines également et le fait qu’il s’agisse toujours d’un pays en guerre, et d’ailleurs dans la plupart des rues, existent un panneau de direction montrant la Palestine, c’est à dire Israël pour les uns ou les territoires occupés par l’entité sioniste pour les autres. On est dans le Pays de la Résistance à Israël et cela se remarquera non seulement par ses panneaux de direction mais également par les portraits de dirigeants du Hezbollah le long de la route.

Houssam a à cœur de nous montrer un visage différent de cette région mal aimée parce que mal décrite par la presse d’une partie libanaise, il a, à cœur, de nous montrer le meilleur, d’une région qui a certes souffert mais qui ne s’est – non seulement reconstruite – mais qui se développe à grande vitesse en plus, une sorte de revanche suite aux évènements d’il y a 5 ans seulement, une ville qui aurait pratiquement quadruplé depuis, comme d’ailleurs lui même qui est revenu d’Afrique depuis peu et qui compte construire bientôt sa propre famille au Pays justement.

Nous aborderons bien entendu la place du Hezbollah et des différents incidents qui se seraient déroulés dernièrement dans cette région et notamment le fait de ne pas pouvoir s’arrêter n’importe où et de pouvoir prendre une photographie. Il lui ait arrivé par exemple de vouloir prendre un cliché d’un arbre en raz campagne et de se faire héler par une personne, lui disant qu’il ne peut prendre une photographie de ce côté mais dans l’autre direction, il le peut. Il continuera en expliquant qu’en fin de compte, certains « touristes » du pays d’en face viennent au Liban en état de détenteurs d’une double nationalité et reviennent sur le théâtre d’opération dans lequel ils étaient présents, il y a quelques années. Il s’agit donc d’un pays toujours en guerre avec Israël avant de nous rappeler également l’arrestation, depuis quelques temps déjà, de libanais – dont certains qu’on ne soupçonnerait même pas – comme étant des agents des services de renseignements israéliens. Ce n’est en fait pas différent en fin de compte que le fait de ne pas pouvoir prendre des photographies au niveau de la Marina Joseph Khoury au Metn ou un « agent libanais de l’ambassade US » vous abordera sans ménagement ou encore juste à proximité du Grand Sérail à Beyrouth ou des agents de l’ambassade britannique  exigeront de voir – armes à l’appui- les clichés que vous auriez pu prendre, à la vue et même à la barbe des services de protection libanais et cela en dehors de la zone de juridiction de la chancellerie anglaise. Nous avons donc trop tendance d’accuser le Hezbollah – un parti qui est libanais quoi qu’on en dise en réalité – de commettre et en fin de compte de vouloir protéger et se protéger, alors que des étrangers exercent ce genre même de méthodes sans pour autant que bien des gens – et en premier lieu une presse achetée – n’en parlent.

Après tout, quelles sont les garanties dont disposent la population civile locale, elle qui a souffert de l’occupation israélienne, puis une fois, cette occupation terminée en 2000, des nombreuses violations du territoire libanais par les forces israéliennes, violations quasi-quotidiennes même aujourd’hui avec l’aviation israélienne allant jusqu’à stimuler des raids contre des cibles civiles pour ne pas évoquer le conflit de juillet 2006, l’Armée Libanaise étant démunie des moyens suffisants et notamment pour faire face aux menaces aériennes, via un refus quasi permanent des puissances occidentales – d’abord à acheter ce genre de matériel, voir l’affaire des missiles Crotales dans les années 60 et 70 – refus qui ira jusqu’à aujourd’hui même d’ailleurs.

Bref, ce blog n’étant pas fait pour parler politique, nous nous arrêterons ici, mais il fallait tout de même l’évoquer pour comprendre les schémas de pensées locaux et prendre conscience que leurs souffrances sont légitimes et il ne revient pas à nous de les juger.

1ere visite: Nabatiyeh Faouka, avec sur le sommet d’une montagne culminant à environ 740 mètres d’altitude un Château Croisé, dit Château de Beaufort. Il s’agit d’une position stratégique permettant d’observer la Terre Sainte et on peut notamment voir les colonies israéliennes de Kiryat Shémona, jusqu’à la mer vers l’Ouest, ou Marjayoun ou une partie de la Békaa du coté Est. La portée stratégique du lieu explique sans doute que les Palestiniens entre 1976 et  1980 puis les forces israéliennes entre 1982 et 2000 mais occupant en réalité le Sud Liban depuis 1978 ont placé ici un point d’observation.

La forteresse croisée fait actuellement l’objet d’une restauration financée par le Qatar et entreprise en 2010. Les travaux de reconstruction devront se terminer en 2014 à la vue des retards pris. Il s’agit d’en démonter certaines parties pour les remonter, ainsi que de dégager d’autres parties qui sont enfouies sous la poussière du temps. On découvrira peut-être ainsi les souterrains menant au lit du Litani qui s’écoule en bas de la falaise, permettant aux occupants de la forteresse médiévale de se réapprovisionner en eau en cas de siège. Un centre d’accueil pour les touristes est également en cours de construction entre le Château à proprement dit et les ruines de ce qui reste de la position israélienne.

Comme on aura compris, cette position est plus connue actuellement, non pas pour son passé médiéval dans une lutte à la croisée des civilisations arabes et occidentales mais pour son histoire moderne dans le conflit entre les troupes de l’état hébreu et le Hezbollah dont les combattants mettront plusieurs jours pour escalader les falaises sud-est depuis le lit du Litani situé tout en bas, un dénivelé d’environ 500 mètres à en juger – afin de pouvoir attaquer l’occupant israélien qui sera forcé à procéder au retrait de ses troupes en 2000. Il semble d’ailleurs que le retrait de cette position ait été particulièrement difficile comme en témoigne un film israélien, Beaufort, en date de 2007, Oscar du meilleur film à l’époque. Pourtant, les images de la « Résistance », surnom de la branche militaire du Hezbollah, illustrant les différentes attaques menées contre les positions israéliennes sont moins connues en Occident mais témoignent également de l’âpreté de la lutte pour ce pic stratégique et le nécessaire processus de « victimisation » des israéliens aux yeux des occidentaux, excuse ultime face aux crimes qu’ils ont eux-même perpétré vis-à-vis de la population originelle qu’elle soit palestinienne plus au Sud ou Libanaise ici-même.

Nous poursuivons notre route, repassant par Nabatiyeh avant de nous rendre à Mlita, au fameux musée du Hezbollah situé à environ 1 000 mètres d’attitude, ouvert depuis 2010 et qui a déjà accueilli plus de 300 000 visiteurs en une année d’existence, preuve de l’intérêt qu’il soulève. Il s’agit d’une formidable opération de relation publique qu’a entrepris le mouvement chiite, pour mettre fin aux accusations selon lesquelles l’organisation est opaque par d’autres. Au contraire, avec ce musée, le Hezbollah expose les objectifs de sa résistance qui est celle de tout le Liban et de ses communautés comme l’explique le discours de son secrétaire général, Sayyed Hassan Nasrallah, dans une salle de conférence ultramoderne du complexe. Il ne s’agit non seulement de montrer la lutte contre Israël mais également un projet à dimension écologique qui s’articule autour d’une réserve naturelle.

Pour comprendre ce qu’est Mlita, il s’agit d’une base avancée du Hezbollah, faite de Bunkers et de souterrains, ainsi que de positions défensives face à Israël dont partiront de nombreuses attaques contre ses troupes occupant le Sud Liban. Ce site fera l’objet de nombreux bombardements aériens comme en témoignent l’unique ruine d’une habitation en bas du complexe, les autres étant reconstruites quasiment immédiatement une fois l’épisode de guerre terminé, preuve de l’esprit de résistance et d’attachement à la terre de la population locale.

Arrivée au complexe du Musée, direction, un premier bâtiment où sera projeté un film relatant les différentes dates et périodes de l’invasion israélienne, un film sous forme d’épopée en passant des premières opérations du Hezbollah contre les troupes de l’état hébreu, de la première attaque Kamikaze et du rôle du secrétaire général de l’organisation chiite à l’époque Abbas Moussawi qui jouera un grand rôle dans la mise en place du complexe où nous nous trouvons, allant jusqu’à soigner par lui-même les combattants tout juste revenus de la ligne de front, jusqu’à son assassinat en 1992 par les forces israéliennes et le discours de son successeur Sayyed Hassan Nasrallah lors du retrait israélien de 2000 et du fameux discours de la victoire prononcé à l’issue du conflit de juillet 2006. Il est touchant également de revoir les images des bombardements de civils libanais, dont le fameux massacre de Qana en 1996. J’étais au Liban, je ne peux que me souvenir d’un soldat de la FINUL transportant avec émotion le corps d’une poupée, sauf qu’il ne s’agissait pas d’une poupée, mais du corps sans vie d’un bébé décapité. Ces images restent gravées à jamais dans la mémoire et soulignent la disproportion des forces.

La visite se poursuit dans un deuxième bâtiment ou sont exposés différents dispositifs et équipements militaires israéliens dont des missiles, radio, armes de poing ou fusils d’assauts, mitrailleuses lourdes, masques à gaz, bottes etc… voir même un panneau d’indication, mises pèles-mêles dans un désordre savamment étudié et dont on peut encore voir les inscriptions en hébreu. Il y avait également des appareils de visée télémétrique, nécessaire pour les tirs d’artillerie.

Cette visite se poursuit ensuite par le rond central ou sont exposés différents véhicules et pièces d’artilleries israéliennes dont un char Merkava au fut du canon tordu, englué symboliquement comme dans un sable mouvant, différents chars dont un M60 de fabrication américaine utilisé lors de l’invasion de 1978 et de 1982 avant d’être progressivement retiré. On remarquera également sur le côté, le reste d’un dispositif de largage de bombes à fragmentation, qui continuent à faire de nombreuses victimes au Liban. Un message à destination des différents drones israéliens survolant la région est également inscrit au milieu de cette place.

 Après les équipements et les engins militaires israéliens, les armes de la Résistance libanaise – essentiellement de fabrication soviétique – , mises en œuvre par des mannequins le long d’anciennes tranchées relatant une lutte héroïque, parsemées par ci et par là, de bouquets en hommages aux combattants disparus. On peut apercevoir des infirmiers traitant dans l’urgence des blessures de guerre, la mise en place des fameux katiouchas et autres orgues de Staline avec des dispositifs de mise à feu à distance dont certaines étaient toujours déployées lors du conflit de juillet 2006. A quoi cela sert-il encore de bombarder des lieux vides après le tir de roquettes alors que leurs servants sont déjà loin?

Nous pénétrons ensuite dans un long tunnel en enfilade taillé à même la roche, il s’agira en fait de montrer comment sont faits les fameux bunkers du Hezbollah. Il ne s’agit en rien de tunnels étroits comme on peut le croire, aux chambres mal équipées, mais bel et bien de dispositifs pour pouvoir rester longtemps sous terre avec magasins d’armes, cuisine, salle de commandement informatisée faisant également office de salle des cartes, salle de prière, dortoirs, et même placard pour ranger le nécessaire pour nettoyer ou pour continuer à creuser. On est donc bien loin de l’imaginaire populaire de tunnels crasseux!

Le tunnel mène à la terrasse trônant de l’autre coté de la montagne, ce qu’on n’aurait jamais même imaginé donnant sur une vue panoramique malheureusement nuageuse le jour ou nous nous y sommes rendus pour reprendre ensuite un nouveau sentier et retourner au point d’arrivée, de l’autre côté du massif montagneux.

Bon au final, Mlita en tant que tel n’est pas aussi impressionnant que les forts de la région de Verdun dont Douaumont que j’ai visité en étant gamin ou de la Ligne Maginot. Mais il ne s’agit pas d’un dispositif mis en place par un état contre un autre état dans ce cas précis mais d’un dispositif mis en place par les habitants d’un pays eux-mêmes luttant aux yeux et à la barde d’un occupant, l’état lui-même étant en pleine décomposition lors de la guerre civile et n’ayant aucun moyen de protéger – et c’est d’ailleurs toujours le cas- la population civile, ce qui amène à y voir un caractère exceptionnel.

Il en demeure aussi qu’en dépit de tous les moyens modernes qui leur ont été mis à disposition, les forces israéliennes n’ont pas réussi à prendre ou à mettre à mal ces installations, ce qui laisse à penser que l’usage disproportionné de la force n’est rien par rapport à la ténacité et au courage des individus et qu’une armée conventionnelle comme l’Armée Israélienne ne peut pas grand chose face à des techniques de harcèlement d’une guérilla qui contrôle la réalité du terrain.

Ce qui était impressionnant donc était la volonté de ces combattants à faire face à une armée moderne avec le peu de moyens dont ils disposaient, ce qui est impressionnant aujourd’hui même est la mémoire que les lieux transportent, avec même la présence de bouquets de fleurs sans cesse rafraichis sur les lieux ou leurs camarades sont tombés. Il y a là la mémoire d’une lutte imposée via les évènements et un hommage à ceux tombés, aux personnes célèbres comme aux inconnus, alors que dans d’autres régions, la mémoire n’a pas fait long feu et nos martyrs ont été (bien) vite enterrés.

Pour aller plus loin:

Lien vers le Musée du Hezbollah: http://www.mleeta.com

Ce billet constitue, en quelque sorte, une suite à un autre billet publié en 2009 et intitulé, Les tuniques bleues au Pays du Hezbollah (première partie), rédigé à l’occasion de la célébration du 14 juillet 2009 à At Tiri, QG des troupes françaises déployées au sein de la FINUL et situé à seulement 2 km de la ligne bleue, ligne de démarcation entre le Liban et Israël.