Les défis à venir du Président Michel Aoun

Le Général Michel Aoun, qui sera probablement élu ce lundi 13ème Président de la République Libanaise, devra faire face à de nombreux défis que traverse le Pays des Cèdres, tant de nature politique, économique que sécuritaire.


Les défis politiques

Les défis d’une cohabitation qui s’avère être difficile et contre-nature

La décision de soutenir la candidature du Général Michel Aoun par l’ancien Premier Ministre Saad Hariri serait assortie à la condition de le voir être renommé Premier Ministre en exercice. Cette décision s’avère plutôt être celle d’une cohabitation à venir plutôt que d’une coopération renforcée. Nul doute que de nombreuses crises politiques surviendraient pour plusieurs raisons. On peut notamment citer:

  1. le dossier syrien et l’implication tant de combattants du Hezbollah aux côtés du régime syrien que de combattants sunnites contre le régime syrien
  2. La mise en cause de responsables du Courant du Futur dans différents dossiers de corruption dont le Général Aoun réclame l’ouverture depuis de nombreuses années. On peut penser aux dossiers des télécommunications, de la gestion des ordures, de la gestion des appels d’offres publics en général, etc…
  3. le dossier du tribunal international en charge de juger l’affaire de l’assassinat de l’ancien Premier Ministre Rafic Hariri. Ce dernier accuse sur la base d’un jugement non pas basé sur des preuves mais un jugement circonstanciel, le Hezbollah d’une part et le régime syrien d’autre part d’y être impliqué.

Une loi électorale qui doit toujours être mise en place

Le débat des années précédentes sur le choix d’une nouvelle loi électorale plus égalitaire vis-à-vis de la communauté chrétienne ne se fera pas sans heurts avec les résistances tant du Courant du Futur qui risque d’y perdre ses parlementaires chrétiens élus par les sunnites, notamment dans la capitale Beyrouth que le mouvement Amal, déjà insatisfait d’avoir perdu ses députés chrétiens dans la région chiite de Nabatiyeh.

Une élection dans un environnement moins consensuel que ses prédécesseurs

L’élection du Général Michel Aoun n’intervient pas, contrairement à ses prédécesseurs, dans un environnement d’entente et de consensus nationaux, comme en témoignent les nombreuses déclarations des opposants à son élection tant du côté de la rue sunnite, actuellement personnifiée par le Ministre démissionnaire de la Justice, Achraf Rifi et désormais principal opposant en son sein à l’ancien Premier Ministre Saad Hariri qu’au sein de la communauté chiite avec la césure entre mouvement Amal également opposé à cette élection et mettant en avant des risques d’abrogation des accords de Taëf et même de recours à la violence et Hezbollah soutenant au contraire la candidature du Général Michel Aoun.

Face à ce risque, le Courant du Futur et le Hezbollah ont décidé dans un communiqué conjoint de poursuivre leur communication afin d’apaiser la tension entre les 2 communautés sunnites et chiites. Cependant, le Président de la Chambre, Nabih Berry aurait déjà signifié son refus via son proche, le Ministre des Finances,  Ali Hassan Khalil, de rencontrer le dirigeant du Courant du Futur Saad Hariri afin de protester contre sa mise à l’écart dans l’accord entre ce dernier et Michel Aoun.  Ali Hassan Khalil  aurait également indiqué que le Mouvement Amal pourrait ne pas faciliter la formation du prochain gouvernement, voir même de le boycotter, augurant la poursuite de la crise politique dans un avenir proche en dépit de cette élection.

En dépit d’une union toute relative de la rue chrétienne, les communautés sunnites et chiites sont donc divisées et partagées, augurant de tensions politiques à venir.

L’un des premiers défis annoncés est la mise en place d’une nouvelle lois électorale plus juste envers la communauté chrétienne, jusque là marginalisée par le processus des élection législatives. Ce chantier augure de nombreuses tensions avec les dirigeants des factions politiques sunnites et chiites qui, jusqu’à présent, désignaient presque un certain nombre de députés chrétiens dans les régions qu’ils contrôlent et notamment dans la capitale, au Nord ou au Sud du Liban. Le Général Michel Aoun souhaiterait ainsi que des électeurs chrétiens élisent des députés chrétiens.

La communauté chiite partagée entre appuyer ou désapprouver la candidature du Général Aoun

Le Président de la Chambre Nabih Berry a déjà fait part de ses inquiétudes et le risque de voir son rôle à la tête du parlement être remis en cause. Il estime que cet accord entre chrétiens et sunnites pour le partage du pouvoir comme évoqués par le rappel du Pacte National de 1943  pourrait marginaliser la communauté chiite. Il aurait cependant tempéré ses propos dans un communiqué publié suite à la visite du dirigeant du CPL ce 21 octobre, estimant que les désaccords concernant la nomination à la Présidence de la République ne remettent pas en cause l’amitié entre les 2 hommes.

De son côté, le Hezbollah largement engagé dans le conflit syrien a réitéré son refus de voir la communauté chiite être divisée tout en rappelant son soutien à la candidature du Général Michel Aoun, en raison « de l’intérêt général de la Nation ».

La communauté sunnite également plus divisée que jamais

Parrain du Courant du Futur, l’Arabie Saoudite a, à de nombreuses reprises, marqué son opposition à l’élection du Général Michel Aoun à la Présidence de la République en raison de son alliance avec le Hezbollah chiite et de ses bonnes relations avec l’Iran et le régime syrien de Bachar el Assad dans un contexte de guerre civile en Syrie et au Yémen entre les 2 axes.

Certaines sources ont déjà indiqué la désapprobation de Riyad quant à l’appui à la candidature du Général Aoun de la part de l’ancien premier ministre Saad Hariri déjà en difficulté pour ses affaires sur place. Certains opposants à Saad Hariri pourraient ainsi envisager de profiter de l’affaiblissement de son influence en Arabie Saoudite pour tenter de prendre sa place.

Le Ministre démissionnaire de la Justice Achraf Rifi aurait ainsi déclaré à l’issue de la conférence de presse annonçant le soutien de Saad Hariri à la candidature du Général Michel Aoun, son refus à ce que le Liban soit soumis « au projet iranien ». Le fossé entre les 2 hommes s’élargi ainsi.
L’Ancien Premier Ministre Nagib Mikati a également mis en garde contre « la nouvelle aventure de Saad Hariri », espérant que celle-ci ne dégrade pas encore les tensions entre les différentes communautés religieuses.
L’ancien Premier Ministre Fouad Saniora aurait également marqué son refus de voter en faveur du Général Michel Aoun lors du 46 scrutin qui a eu lieu ce 31 octobre.

Les défis économiques

La présence de plus en plus pesante des réfugiés syriens

En raison déjà de la présence de plus de 1,1 millions de réfugiés syriens au Liban suite à la guerre civile dans leur pays, les infrastructures libanaises croulent sous une tension jamais vue auparavant. Il s’agira donc de trouver une solution à cette présence et d’améliorer les structures tant financières qu’infrastructurelles comme la distribution de l’eau et de l’électricité toujours rationnées depuis la fin du conflit civil de 1975 à 1990.

Ralentissement de la croissance et risque de dévaluation de la Livre Libanaise

Le ralentissement de la croissance, voir la baisse de la demande pour l’immobilier et le recul des entrées générées par le secteur touristique sont d’autant de risques économiques à l’avenir.

L’augmentation des salaires décidées par les gouvernements précédents impactent également négativement les finances de l’état déjà accaparées par une importante dette publique alors que nombreux spécialistes évoquent une possible dévaluation de la Livre Libanaise en 2017 ou 2018.

Les risques de bras de fer

La remise en cause du secret bancaire tout juste adoptée en catimini par le Parlement Libanais le 19 octobre 2016, au cours d’une session parlementaire exceptionnelle pourrait également provoquer quelques remous. Cette décision était pourtant attendue alors que les banques libanaises étaient soumises à un certain nombre de menaces de sanctions économiques via l’adoption par l’administration américaine à l’encontre des établissements bancaires coopérant avec le Hezbollah. Sans nul doute, de nouveaux bras de fer pourraient avoir lieu tant en local qu’avec la nouvelle administration américaine à venir.

Une politique économique qui reste à formuler

L’adoption d’un budget tout d’abord, chose qui n’a pas été effectuée depuis 2005 devrait être une des principales priorités du prochain gouvernement.

La mise en place d’une politique économique à venir avec la diminution des budgets des pays arabes en raison de la diminution des ressources pétrolières locales est également à prévoir avec un rééquilibrage des principaux partenaires économiques pour le Liban. La Banque du Liban semble déjà avoir pris les devants en invitant les entreprises libanaises à participer à l’ouverture du marché iranien, lors de la levée des sanctions contre Téhéran.

Enfin la mise sur pied de l’exploitation des ressources pétrolières probables dans les zones économiques maritimes appartenant au Liban pourrait être l’occasion de nouveaux désaccords concernant le partage des revenus qui seraient ainsi générés.

 Les défis sécuritaires

Les autorités libanaises ont démantelé ces dernières années de nombreuses cellules terroristes qui espéraient provoquer une dissension communautaire entre les différentes composantes religieuses libanaises et ainsi provoquer, non pas une guerre civile mais des troubles à l’ordre civil. Ainsi, le groupe terroriste Daesh et Al Nosra ont d’abord visé la banlieue Sud de Beyrouth, fief du Hezbollah puis le groupe Daesh s’en est également pris au village chrétien de Qaa dans la Békaa.

Nul doute que le recul et les défaites de Daesh en Irak et en Syrie pourrait provoquer un reflux de ses combattants originaires du Liban et des régions limitrophes. On assiste déjà d’ailleurs à l’arrestation en coopération avec les autorités palestiniennes locales dans les camps d’un certain nombre de cadres de ce groupe terroriste. Ces derniers seront probablement tentés de poursuivre leurs basses oeuvres au Pays des Cèdres en essayant de déstabiliser l’équilibre politique déjà précaire établi ces dernières années.

Autre défi et non des moindres, le renforcement des capacités de l’Armée Libanaise alors que l’Arabie Saoudite a déjà annulé sa fameuse donation de 3 milliards de dollars. Le Liban devra donc trouver les fonds nécessaires par lui-même alors que les difficultés économiques s’annoncent déjà insurmontables.