L’absurdité du développement immobilier à Beyrouth et la destruction du Patrimoine

Unité patrimoniale à Tripoli (Nord Liban). Crédit Photo: François el Bacha. Tous droits réservés.
Unité patrimoniale à Tripoli (Nord Liban). Crédit Photo: François el Bacha. Tous droits réservés.

Nous avons longtemps entendu évoqué dans la presse libanaise, les différents crimes à l’encontre du Patrimoine Urbain de Beyrouth avec la destruction de maisons de type traditionnelle pourtant protégées comme des quartiers entiers ravagés par différents projets immobiliers ou de sites archéologiques de premier plan comme le Port Phénicien de Beyrouth, détruit en faveur de tours qui n’ont rien à envier au design de ce qu’on considère en Europe être des HLM à une nuance prêt, il s’agirait d’habitations dites de luxe ici.

Cet état de fait peut être simplement reflétée par les différents ratios concernant la comparaison entre l’achat d’unités immobilières neuves en anciennes à Beyrouth et dans les différentes villes ayant conservées leurs patrimoines. Ainsi, la capitale libanaise compte 24% d’achat d’unités neuves mises sur le marché contre 76% d’unités anciennes, à comparer à seulement 2,2% à Paris. Ce ratio suffit à démontrer que les politiques de conservation du patrimoine sont quasi inexistantes au Pays des Cèdres et on peut s’interroger quant aux raisons de ce massacre, surtout en constatant que parmi les 1 600 unités immobilières patrimoniales ou maisons traditionnelles recensées au début des années 2000 alors que Mr. Eddé était Ministre de la Culture, il n’en demeurait que 200 aujourd’hui.

La politique urbaine aujourd’hui ne prend aucune considération face à la problématique de la conservation de la mémoire collective et donc patrimoniale. La politique économique liée à ce développement urbain ne se formule aucunement en fonction de la conservation du patrimoine mais en faveur de sociétés immobilières ayant profité d’une importance hausse des prix au mètre carré ces dernières années.

Ainsi, le rendement locatif à Beyrouth même atteindrait – selon une enquête effectuée par Global Property Guide – 4,65% à comparer à un rendement sur les dépôts bancaires en Livre Libanaise à 5,4% et d’une hausse sur les prix au mètre carré de 11,2% annuellement entre 2005 et 2010. Cela éloigne la possibilité de l’achat d’unités par des privés ou des sociétés immobilières dans un but conservatoire par la location par les sociétés de construction immobilière et de restauration au profit de gains à court terme via la destruction de ces unités et à la vente d’unités neuves à des personnes dans un but purement spéculatif. Ces chiffres sont à comparer à ceux de Paris ou le rendement locatif atteint 4,9% pour un rendement sur les dépôts en Euro de 2,8% à 3,2% et cela en dépit d’un effondrement du marché locatif ou le rendement atteignait encore 7% à 8%, il y a 10 ans. Au Liban, louer est donc équivalent à une perte financière quand à Paris, louer permet des gains financiers à long terme.

Pourquoi alors le marché ne corrige pas ces absurdités? Tout d’abord, les sociétés immobilières ne sont pas intéressées par la constitution d’un marché locatif en raison d’un retour sur investissement (ROI) qu’elles désirent courts alors que le ROI sur du locatif est plus sur du long terme, toujours selon l’étude de Global Property Guide, ce dernier atteignant pour le Liban 22 ans contre 11 ans à l’exemple de Dubaï ou 17 ans en Égypte à comparer avec un ROI de 2 ans dans la construction d’unités nouvelles.

Le deuxième facteur économique est d’ordre bancaire avec un afflux important de liquidités au Liban suite à la crise financière mondiale et paradoxalement la crise des subprimes aux USA – elle aussi immobilière -, les banques libanaises devant offrir des rendements importants à leurs déposants et cela en absence de secteurs économiques diversifiés au Liban.

Nous pouvons enfin citer l’absence de plan urbain dans la ville de Beyrouth ou il suffit de posséder un terrain de plus de 5000 mètres carrés pour que les sociétés immobilières puissent construire aussi hauts qu’elles le désirent et cela favorise également la destruction d’unités patrimoniales généralement présentes sur des terrains de superficie moindres, ou encore de l’absence de correction de la loi locative dite pré-1992 à loyers bloqués libellés en Livres Libanaises et ayant souffert de la période d’hyperinflation des années 1980  mais une proposition d’amendement est actuellement sur la table du Conseil des Ministres afin de la corriger.

Pour revenir à la question patrimoniale, on peut également estimer que l’inadéquation entre offre et demande est  destructrice de patrimoine. Ainsi, la demande immobilière des années précédentes (cette dernière est déjà en train d’évoluer actuellement en raison de risque de retournement du marché que nous détaillerons dans la publication d’un rapport sur l’immobilier à paraitre le 26 février prochain) était principalement due à une demande étrangère principalement du Golfe principalement concentrée sur la capitale et d’une demande de ressortissants libanais résidant à l’étranger, constituant 40% de la demande locale totale et également concentrée sur la capitale. Cette demande est principalement dirigée vers le neuf et non vers l’ancien en raison de l’inadéquation structurelle du marché d’unités anciennes par rapport à la formulation « super luxe » qu’ils demandent généralement en raison de leur important pouvoir d’achat et cela au détriment de la demande purement locale qui ne représente qu’un peu plus de 60% de la demande globale.

Face à cette problématique, l’État est aux abonnés absents à plusieurs titres, absence de protection des unités patrimoniales même protégées et l’arbitrage se faisant généralement en faveur des promoteurs immobiliers et cela concernant le Ministère de la Culture, absence dans le développement urbain de la ville de Beyrouth avec construction dans des zones à caractère traditionnel au lieu de construction dans des zones libres et cela dans une logique de manque de coopération entre les différents acteurs étatiques dont le Ministère de l’Économie, la Municipalité de Beyrouth etc… , absence enfin la réforme économique dans l’optique d’instauration d’une politique de développement durable ou encore absence de propositions afin d’augmenter le rendement locatif par exemple voir même de limiter les gains des sociétés immobilières destructrices qui peuvent être facilement prises d’un point de vue fiscal – exemple exemption fiscale et subventions à la restauration d’unités patrimoniales qui constituent en fin de compte une richesse à plusieurs titres – et abaissement du taux de rendement en Livres Libanaises afin de favoriser des acteurs individuels comme les propriétaires eux-même ou des sociétés à but locatif comme cela est le cas dans de nombreuses villes ayant un caractère patrimonial.

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