Une victoire dans la bataille de la crise des ordures face au tenant des retournements de veste et de situation, à savoir Walid Joumblatt. Cette victoire est signée par le Premier Ministre Tamam Salam qui sonne la fin de la récrée et fait ainsi payer au Sieur du Chouf, son entêtement qui a amené à la situation actuelle. Après l’échec des plans présentés par Mohammed Machnouk, représentant le Courant du Futur dans ce dossier épineux, le Premier Ministre a demandé la prise en charge du dossier par le parti opposé incarné par un proche cette fois-ci de Walid Joumblatt, le Ministre de l’Agriculture, Akram Chehayeb. Un petit récapitulatif s’impose pour comprendre la situation.
La Genèse d’un conflit pourtant prévisible
Au commencement, était un arrangement entre Rafic Hariri et Walid Joumblatt qui se partageaient la manne du ramassage des ordures, via la constitution en 1994 de Sukleen. Cette compagnie sera accusée de financer le Courant du Futur et le député druze via les fonds alloués pour la mise en place de la décharge de Naameh en 1997. Alors que cette décharge, située au sud de la capitale libanaise, zone sous influence électorale druze, devait fermer 2 ans après son entrée en fonction, son fonctionnement sera sans-cesse renouvelé et sa zone élargie en dépit de l’opposition des habitants des localités proches.
Jusqu’au jour, où en 2014, Walid Joumblatt a décidé que la part qui lui est allouée ne lui ait plus suffisante et décide donc de soutenir opportunément les revendications des habitants de Naameh, tout en choisissant de régler également ses comptes avec d’autres partis. C’est ainsi que ce 17 juillet 2015, sera fermée, suite à une décision gouvernementale obtenue en grande partie par ses pressions, cette fameuse déchetterie, entrainant l’entrée dans la phase active de la crise qu’on appellera désormais la Crise des Ordures, en raison de tout plan de substitution adopté par les autorités gouvernementales libanaises en remplacement de cette dernière.
Les ordures s’accumulent désormais dans les différentes régions libanaises et dans la capitale même, provoquant une sorte de panique face aux risques sanitaires. Dans certains quartiers, on ira même jusqu’à brûler les ordures.
La Première Phase: Solder de vieux comptes
Les premières propositions du vieux routier de la classe politique libanaise se feront d’abord sur plusieurs axes. Faire croire à sa bonne volonté dans le règlement de la crise, paraitre proche des revendications populaires mais également régler de vieux comptes en date de la guerre civile et nuire à son adversaire politique direct, à savoir Talal Arslan.
Refusant toute réouverture de la décharge de Naameh, en conformité avec ses précédents engagements opportunément pris, Walid Joumblatt proposera d’établir de nouvelles déchetteries à Khaldeh, près de l’Aéroport International de Beyrouth en comblant l’espace entre la piste d’envol située sur un terrain gagné en partie sur la mer et les installations aéroportuaires, en contradiction flagrante avec les différentes régulations et obligations internationales souscrites par le Liban en ce qui concerne le rejet de déchets en mer mais également au sujet de la sécurité aérienne. Opposition catégorique de Talal Arslan, dirigeant de la famille opposante historique des Joumblatt dont Khaldeh n’est autre que le fief.
Autre proposition de règlement de la crise de Walid Joumblatt en proposant d’établir une décharge à Ein Dara, village mixte libano-druze situé à 1300 mètres d’attitude dans le Caza d’Aley, et déjà le siège d’un champs de bataille en 1711 et qui a fortement changé les équilibres des pouvoirs entre familles druzes et à noter que les résidents appartenant à cette communauté sont aujourd’hui également liées aux Arslan, La localité est un haut lieu stratégique, en témoigne le choc entre une division de l’Armée Syrienne et une Unité Israélienne, le 10 juin 1982. Les habitants de la localité soigneront à cette occasion des officiers syriens qui leur montreront leurs reconnaissances dans la période qui suivra.
Ce lieu stratégique n’échappera donc pas à l’acuité de Walid Joumblatt, qui, durant la Guerre de la Montagne, quelques temps après, décidera de s’emparer de cette localité, et cela en dépit de l’opposition des officiers syriens qui se souviennent de l’hospitalité des habitants lors du choc entre forces israéliennes et armée syrienne. Ils feront parvenir au dirigeant druze une première mise en garde qui sera ignorée par ce dernier. Ils décideront par conséquent de bombarder « les forces progressistes » avançant vers Ein Dar. Celles-ci finiront par se retirer et ainsi Ein Dara sera épargné des massacres commis lors de cette période. Il semblerait aujourd’hui que la proposition de Walid Joumblatt constitue une réponse indirecte à ce camouflet infligé et cela en dépit des risques écologiques causés par l’écoulement des polluants aussi bien vers le littoral que vers les nappes phréatiques de la Békaa.
Quand la situation commence à devenir incontrôlable
La mise en place de cette stratégie s’était effectuée sans compter de nouveaux acteurs dans les jeux politiques et sociaux au Liban, à savoir non seulement l’opposition des habitants de ces localités elles-mêmes mais également la constitution d’un véritable mouvement populaire, certes hétéroclite et qui dépasse les clivages traditionnels, à savoir le mouvement #YouStink dont beaucoup des membres sont pourtant issus du PSP du dirigeant druze. Il ne s’est pas trompé quand on constate à la lecture de ces propres déclarations que le rejet de la classe politique incarné par la popularité de ce mouvement, le concerne également.
Première défaite, l’échec à faire adopter le fameux appel d’offre dont les résultats ont été publiés le 14 aout 2015, suite aux prix importants qui seraient exigés par les sociétés candidates au ramassage des ordures mais auraient été sujettes à une forte augmentation de la part des autorités, commissions peut-être obligent, comme l’a révélé ce samedi 12 septembre la télévision libanaise Al Jadeed. Cet appel d’offre visait à offrir les 6 régions libanaises à différents intérêts plus ou moins proches d’hommes politiques de premier plan.
Alors qu’une des sociétés candidates était détenue par un homme d’affaire proche de lui, à savoir Riad el Assaad, Walid Joumblatt démentira l’avoir favorisé lors de la procédure, niera tout lien avec lui et ira même jusqu’à dénoncer les prix importants exigés par les dites-sociétés. Certaines sources évoquent cependant que la manipulation des tarifs exigés par des proches du Courant du Futur viserait en réalité à permettre à la société Sukleen de se remettre sur les rails.
Plusieurs dimensions à la problématiques sont donc présentes dont 2 évidentes:
- Antagonisme entre société civile et classe politique dans son ensemble
- Antagonisme entre les intérêts de Walid Joumblatt lié à Riad el Assaad et Courant du Futur qui soutient Sukleen
Commence alors une sorte de surenchère à la dé-responsabilisation au lieu de montrer les responsabilités de chacun dans cette crise. Le collectif #Youstink demande la démission du Ministre de l’Environnement Mohammed Machnouk accusé de mauvaise gestion du dossier et même par certaines sources, de corruption. Sa situation s’était déjà dégradé la semaine précédente à l’appel d’offre suite à des incidents entre manifestants et forces de sécurités qui ont fait usage excessif de la force, chose reconnue par le Ministre de l’Intérieur Nouhad Machnouk.
Les protestataires ont désormais élargi leurs revendications à la démission du gouvernement et du parlement et des élections législatives préalables aux élections présidentielles. Le Premier Ministre Libanais récuse l’idée même de tout vide exécutif au Liban alors que la Présidence de la République reste vide, alors que même les médias internationaux commencent à évoquer non plus une crise des ordures mais une révolution des ordures comme dans les colonnes du pourtant très « réactionnaire » Wall Street Journal ». Face à la société civile, le système politique se bunkérise et même les ennemis politiques d’hier discutent: Hezbollah avec Courant du Futur, Courant Patriotique Libre avec Forces Libanaises. Walid Joumblatt semble être cette fois-ci absent de cette étrange vague de réconciliation générale. Un fusible au sein du système politique saute cependant, le Ministre de l’Environnement Mohammed Machnouk, à défaut de démissionner de son ministère, démissionne de la commission interministérielle en charge du dossier des ordures.
Tamam Salam siffle la fin de la récrée
Après les échecs tant de Walid Joumblatt qui a ouvert les hostilités et du Courant du Futur à s’entendre pour résoudre une crise de confiance générale que la classe politique veut cantonner au seul dossier des ordures en dépit des demandes de la société civile à ce que soit remis sur le tapis toutes les questions liées au fonctionnement de l’état, à savoir le confessionnalisme, la corruption, l’existence d’un système quasi-mafieux en marge du système politique en lui-même, le Premier Ministre Tamam Salam, qui s’était jusqu’à présent tenu à l’écart de la rivalité entre le CDF et le député druze et qui est au final un des seuls ne possédant aucun intérêt direct dans le dossier, a décidé à sa manière de rentrer dans le jeu en désignant à la tête de la commission interministérielle en charge du dossier des ordures qui a été depuis remaniée pour y inclure la plupart des partis politiques, le Ministre de l’Agriculture Akram Chehayeb, un proche de Walid Joumblatt.
Ce dernier devra donc gérer la crise et a déjà proposé un plan qui consiste à la réouverture pour une durée de 7 jours de la décharge de Naameh, premier paradoxe alors que Walid Joumblatt refusait catégoriquement ce fait, la réouverture de la décharge de Bourj Hammoud, fermée en 1997 et l’ouverture de décharges à Srar dans le Akkar et à Masnaa, près de la frontière syro-libanaise, dans la Békaa. Ce plan est unanimement rejeté par les activistes, cette fois-ci non seulement dans la capitale mais également dans les différentes régions visées. Ainsi, il y a un début de mobilisation dans le Akkar et dans la Békaa contre la mise en place des mesures décrites.
Il existe des solutions immédiates comme la réouverture de la décharge de Naameh qui est évoquée ou encore l’utilisation de l’infrastructure de Sukleen qui est déjà la propriété de l’Etats, les terrains de la Quarantaine par exemple étant un bien public et non privé, ce qui n’est guère évoqué.
Comme à l’habitude du Liban, le provisoire est fait pour durer. Le plan Chéhayeb pourrait ainsi consister ainsi à « maquiller » et à faire accepter le redémarrage du système de ramassage précédent sous le couvert de l’excuse de nouvelles solutions à mettre en oeuvre sans qu’à terme, que les autres volets comme la mise en place du triage et du recyclage plus couteux ou de décharges dans le Akkar ou dans la Békaa le soient. Cette solution a l’avantage de reconduire un statu-quo à même à satisfaire les 2 parties prenantes, Courant du Futur et Walid Joumblatt, donc un résultat d’un conflit sans vainqueur-ni-vaincu.
Le Plan Chehayeb, une réalité ou un mirage?
On assiste aujourd’hui à presque des suppliques de certains partis impliqués dans la mise en place et dans la gestion de la crise des ordures, à savoir le Courant du Futur et les ministres proches de Walid Joumblatt à accepter le plan Chehayeb. Cependant, ce plan se heurte à un certain nombre d’interrogations quant à sa mise en place. Il constitue donc plus une réponse politique pour faire face au mécontentement désormais général y compris parmi dans le fief même du Chouf et à la menace de perdre au final le contrôle de la situation.
Première difficulté, peut-on croire au déblocage d’une situation prévisible depuis 2014 sans que soit prise aucune décision quant à la mise en place d’un plan alternatif de règlement de la question des déchets. On dirait aujourd’hui un spectacle de magie ou on sort un lapin d’un chapeau afin de satisfaire tout le monde.
Sur un plan technique, on évoque la mise en place d’un système de triage et de recyclage des ordures sauf qu’existe au Liban même des filières de valorisation des déchets à échelle industrielle. Produire du compost est autre chose que de recycler par exemple des métaux lourds. De nombreuses interrogations ensuite quant au rôle joué par les municipalités qui devront assurer le ramassage et le devenir des ordures d’ici un an, cela en l’absence même de normes environnementales. Devrait-on également faire face à de nouvelles crises faute de voir ces nouvelles normes adoptées par les autorités gouvernementales, si cela n’est pas le cas dans un court délai. Il s’agira ensuite également les accompagner dans la mise en place des mesures nécessaires ensuite et de mettre en place les mesures nécessaires à la surveillance du respect de ces normes.
Sur un plan plus général, la question qui se pose désormais sera de savoir si cette mobilisation dans les régions périphériques se poursuivra alors qu’on assiste à un début d’essoufflement à Beyrouth, notamment en raison des violences dont ont été à l’origine les Forces de Sécurité. Une autre question sera de savoir si la classe politique aura pris conscience de l’éveil de la société civile face à la corruption d’un système et changera de pratique ou poursuivra-t-elle « son train de vie » au détriment des intérêts nationaux.
Mais, nul doute qu’ici désormais, Walid Joumblatt devra désormais payer le prix politique d’un conflit qu’il a largement favorisé avant d’en perdre la main et d’être pris à son propre jeu.