À l’approche des élections législatives qui auront lieu le 6 mai prochain au Liban, les amis se chamaillent, les familles s’entredéchirent, un peu comme dans la caricature du diner familial bien connue de l’Affaire Dreyfus, de Caran d’Ache qui fait référence à l’affaire Dreyfus publiée dans Le Figaro le 14 février 1898 et qui fait partie aujourd’hui de l’Histoire.
L’Histoire se répète dans biens des pays mais au Liban, les choses prennent une proportion tout autre. Les gens s’échauffent et sortent d’une léthargie de fatigue face à la politique qui les avaient frappé ces dernières années.
Les informations débordent, en ce moment, d’incidents divers à l’approche du scrutin du 6 mai prochain:
Coups de feux à Denniye entre partisans des uns et des autres, pancartes de candidats arrachées à Tripoli au Nord Liban, pamphlets parfois diffamatoires circulant dans les rues dans le Metn, bagarres même dans un cabinet de médecin à Beyrouth même, la capitale ou candidat pris à parti dans le Sud Liban, insultes pour différences d’opinion, non pas sur des idées, non pas sur des programmes – parce que ces derniers d’ailleurs n’existent pas trop dans le débat public – mais sur les personnes même des candidats, menaces de poursuites judiciaires pour clore des articles de presse… La liste est longue et heureusement qu’officiellement, jusqu’à présent, on ne déplore aucun mort.
Il y a même des bagarres au sein même de familles de candidats où le fils s’oppose au père, où les frères se déchirent.
La cruelle caricature de Caran d’Ache se matérialise en réalité ainsi au Liban.
Ah les gens, proches, connus ou même inconnus… ils vous traitent de certains noms et quand vous leur dites que vous auriez pu en faire de même sans le dire, ils crient et ruent dans les brancards sans aucun argument même pour vous répondre … comme si vos interrogations, vos doutes, vos questionnements, vos approches logiques des questions socio-économiques sont autant d’insultes à leurs propres camps. En fin de compte, leur refus du débat est preuve d’un manque de cohérence au niveau du programme électoral, comme s’il fallait se contenter d’être un béni-oui-oui.
Face à ce refus d’être une personne servile, ils vous affabuleront de la suprême injure selon eux, vous traiter d’appartenir au camp inverse comme si l’indépendance d’esprit, l’esprit critique ne pouvait exister.
Si vous n’êtes pas avec nous, vous êtes contre nous
Dixit un dirigeant politique libanais, il y a quelques années, qui pense être dans la Vérité Absolue dont les paroles se doivent d’être bues comme l’évangile. Ses propos ne souffrent donc d’aucune discussion. Et ces partisans le prennent au pied de la lettre.
Ainsi un militant des Forces Libanaises vous traitera d’Aouniste et vice-versa, un militant du Futur d’être un partisan de Rifi et vice-versa, un proche du Hezbollah, un sioniste et vice-versa. Ils semblent ignorer peut-être que vous êtes tout autant critiques des autres mais leur optique est étroite.
Comme si le courage de ses opinions politiques est chose mauvaise. Mais que n’est que la Démocratie.
Mais il est cependant normal en Démocratie, de débattre, d’avoir ces doutes, de poser et le contre, loin d’un militantisme aveugle qui est irrationnel
Le militant bêta, lui, a dans sa tête le discours préformaté, prémâché de son dirigeant politique, avalé sans aucun recul, souvent partagé à coup de réseaux sociaux pour assommer son audience alors que parfois même les faits et les gestes de ce dernier sont en contradiction avec l’offre électorale.
D’expérience, on ne peut que souvent constater la différence entre le discours public servi à ces militants où le ciel est bleu alors qu’il fait nuit noire et qu’il s’efforcera non pas de croire, pour lui, il s’agit déjà de paroles d’évangiles. Ils abreuvent leurs partisans d’une pensée binaire, avec d’un côté ce qui est déclaré bien et de l’autre côté, ce qui est décrété comme étant le mal absolu. Comme si le gris n’existait pas et qu’il est impossible de construire des ponts avec l’adversaire.
Ces derniers, à force de répéter inlassablement aux autres pour tenter de les convaincre, s’abrutissent comme la torture de la goutte chinoise.
Quant au discours privé, il est souvent plus réaliste et parfois et même souvent contraire au discours public. C’est ainsi que lors des élections, les tensions entre partis opposés naissent mais qu’après, la réalité finit par s’imposer, la négociation doit se faire entre ennemis qui se juraient à coup de menaces même de mort.
On finit par les voir dialoguant courtoisement dans les plus hautes instances de la Nation. Ils auraient bien pu nous épargner de ces tensions bien inutiles au final pour arriver au point ou nous en sommes.
Quand on souligne ces contradictions lors de cette campagne électorale, ces défauts de logique, alors les militants bêta vous désignent d’un doigt accusateur comme étant l’ennemi. Il ne s’agit pas de vous convaincre que vous avez tort. C’est trop leur demander déjà de réfléchir, de présenter des idées constructives, des arguments, de vous convaincre tout simplement de la justesse de leurs programmes, cela d’une manière démocratique. Parce que réfléchir à devoir vous convaincre peut déjà amener à découvrir les éléments clés de la faiblesse des arguments du discours public – idéologique et non réaliste – de leurs Zaims. Et peut-être à ce moment-là, à douter comme vous.
Cette démarche est généralement trop leur demander. Il s’agit de faire peur à celui qui est alors considéré comme élément perturbateur par des moyens divers quitte à déformer la Vérité.
Pourtant, ils devraient s’inspirer de ces mots de Jacques Pilhan, célèbre publicitaire et conseiller en communication pour certains hommes politiques en France et notamment pour François Mitterrand avait déclaré: « Pour être efficace dedans, il faut être dehors, autrement tu deviens un courtisan ».
Ce militantisme n’est justement pas efficace. Bien au contraire, il ne fait souvent que convaincre de l’opposé, parce qu’on est déçu par des personnes devenus courtisanes et qu’on pensait pouvoir estimer intellectuellement. On constate au final que cela n’est pas le cas. Manquant de recul, ces personnes se laissent emporter par des émotions – colère ou peur voir même les 2 à la fois, une rigidité de la pensée qui n’accepte pas d’avoir tort, et le désarroi quand ces torts sont prouvés et exposés au grand public, à leurs audience puis le recours à l’insulte, à la diffamation et aux attaques personnelles au lieu de rester sur le terrain politique – et non par l’analyse de la situation et la rationalité des arguments.
Une nouvelle déception en soit.
Mais cela est normal en fin de compte, les esprits s’échauffent alors que les élections s’approchent. Nous ne sommes pas encore au paroxysme de cette situation.
Peut-être que ce manque de vision quant à la réalité n’est qu’une preuve d’une profonde inquiétude quant à la réussite ou à l’échec de leurs camps comme si leurs vies en dépendaient. Ils ont peur. Inconsciemment, ils tentent déjà de se convaincre d’abord d’une justesse d’un positionnement dont ils n’acceptent pas la critique même fondée, alors que ce ne sont que des élections législatives et que – normalement – d’autres élections auront lieu dans quelques années.
Ils manquent alors de la sérénité, chose proche des vainqueurs. Ils sont tout simplement et profondément dans un désarroi.
Et cette force tranquille qu’ils ne possèdent pas
Ils devraient alors s’inspirer de la campagne présidentielle française de Mitterrand, celle de la force tranquille en 1981 face à une droite déchirée entre un Jacques Chirac qui paraissait bouillonnant et énergique ou un Président sortant, Valérie Giscard d’Estaing, qui fait face à des critiques sur sa gestion de l’économie et sur son implication dans certaines affaires et qui n’abordait pas la campagne d’un air serein.
C’est ainsi par cette image formatée par les publicitaires d’homme calme que François Mitterrand a gagné.
C’est ce même calme et cette même quiétude qui a probablement inspiré la ligne directrice du débat du deuxième tour lors des dernières élections présidentielles en France, entre Emmanuel Macron et Marine Lepen. C’est par son calme, qu’Emmanuel Macron a convaincu les Français qu’il était mieux placé pour diriger.
Quand on s’énerve, on parait brouillon, on parait avoir craqué, on ne devient pas digne de diriger aux yeux des électeurs.
La quiétude est chose rassurante et démontre une certaine expertise face à des situations souvent critiques dans la gestion des affaires publiques et qui nous touche tous. Problèmes sociaux ou économiques, sécurité de l’emploi, problèmes sécuritaires ou sanitaires même, politique étrangère dans une région troublée par des évènements récents. La liste est longue au Liban et les députés sont les seuls responsables élus directement par le peuple au niveau national.
Les électeurs préfèrent le sang-froid à l’agitation parce que, comme en médecine, en s’agitant, on perd ses moyens et de mauvaises décisions peuvent alors être prises et on risque de tuer le patient.
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