Liban: Les mesures du budget 2019 insuffisantes pour réduire le déficit public, juge le FMI

La délégation du FMI a conclu sa visite semestrielle au Liban avec la publication d’un nouveau rapport concernant l’économie libanaise.

Selon le FMI, le nouveau gouvernement a la possibilité de mettre en œuvre des réformes fondamentales pour rééquilibrer l’économie libanaise. L’institution souligne que cet exercice s’avère être difficile, en raison notamment d’un déficit jumelé élevé, d’une dette publique importante et d’une croissance faible.

Le rapport souligne que Les autorités ont déjà adopté un plan crucial de réforme du secteur de l’électricité et travaillent actuellement sur un budget qui vise à réduire le déficit budgétaire.

Le FMI considère que cela est une première étape vers la durabilité et la croissance. Cependant, de nouveaux ajustements budgétaires et réformes structurelles substantiels sont nécessaires pour améliorer le climat des affaires et la gouvernance au Liban, prenant à contrepied les propos des responsables économiques libanais qui estiment les mesures prévues dans le cadre du budget 2019 comme suffisantes.

L’institution rappelle également que le Liban devrait bénéficier du marché de la reconstruction en Syrie, chose contre laquelle, il subit des pressions de la part de certains pays.

Parmi ces ajustements:

  • Un plan budgétaire crédible à moyen terme visant à dégager un excédent budgétaire primaire substantiel et durable qui réduirait progressivement le ratio de la dette publique au PIB au fil du temps.
  • Des réformes structurelles fondamentales visant à stimuler la croissance et la compétitivité externe, à commencer par l’amélioration de la gouvernance ainsi que la mise en œuvre du plan de réforme du secteur de l’électricité et des recommandations de la Vision économique pour le Liban.
  • Des mesures visant à accroître la résilience du secteur financier grâce à un bilan plus solide de la BdL et à la constitution de réserves de fonds propres.

Le rapport rappelle que la dette publique libanaise a atteint 150% du PIB et un déficit des comptes courants atteignant 25% du PIB, ainsi qu’une croissance économique en berne depuis le début de la guerre civile en Syrie.

Il souligne également le rôle joué par la Banque du Liban (BDL) dans la stabilisation de la situation économique locale. Cependant, il est jugé critique aujourd’hui que les autorités libanaises commencent à la mise en place de réformes fiscales et structurelles pour contenir l’endettement public et permettre le retour de la croissance économique.

Une situation économique désastreuse en 2018

Côté situation économique, l’économie libanaise revient de loin:
L’activité économique s’est encore ralentie en 2018, en raison d’une confiance faible, d’une grande incertitude, une politique monétaire stricte et une contraction importante du secteur immobilier. Ces facteurs auraient réduit la croissance à 0,3%. L’inflation moyenne a atteint plus de 6%, en partie à cause des prix élevés du carburant importé, mais a ralenti au second semestre et en 2019.
Un autre facteur aggravant: le déficit budgétaire qui a atteint 11% du PIB en 2018, contre 8.6% en 2017. Parmi les facteurs ayant favorisé cette dégradation, l’augmentation des salaires et l’embauche illégale au sein de la fonction publique. Les intérêts de la dette publiques dépassent désormais plus de 9% du PIB.
Le déficit courant à l’origine s’est encore aggravé, en raison d’une position largement importatrice de l’économie libanaise et des couts plus importants des matières premières.

Plus inquiétant:
Le cash-inflow ou les rentrées monétaires depuis l’étrangers ont pratiquement cessé et les réserves de change de BdL ont diminué.
La croissance des dépôts en 2018 était la plus faible depuis 2005 et les réserves de la BdL ont diminué d’environ 6 milliards de dollars US depuis le début de 2018, malgré la poursuite des opérations financières de l’institution. Cette diminution est imputable en partie à cause du paiement du principal et des intérêts des obligations libanaises.
Par ailleurs, les prêts bancaires au secteur privé ont diminué, les prêts non performants ont augmenté et la dollarisation des dépôts a dépassé les 70%.

En raison de ces différents facteurs, les agences de notations ont dégradé les notes accordées au Liban. Il s’agit notamment du cas de Moody’s qui a accordé aux obligations libanaises la note Caa1 et de la perspective négative selon Standard & Poor’s et de Fitch qui ont toutefois maintenu la note B-.

Cependant, des opportunités existent

Selon le FMI, les autorités libanaises ont aujourd’hui l’opportunité de le faire, via notamment l’adoption du plan de restructuration du secteur de l’électricité publique et le budget 2019. Ces réformes, par ailleurs, encourageront les pays et les organisations donateurs de CEDRE à financer le plan de relance économique.

Cependant, les risques et les vulnérabilités de l’économie libanaise demeure, notamment en cas d’incapacité du gouvernement à atteindre ses objectifs et à faire avancer les réformes ou à une rupture du consensus politique et social.

Parmi les facteurs qui pourraient améliorer la situation, la résolution du conflit syrien et la normalisation des relations profiteraient au Liban via la participation à la reconstruction du pays. En outre, la découverte potentielle d’un gisement de gaz naturel dans les eaux territoriales libanaises, dont les travaux d’exploration devraient commencer d’ici la fin de l’année, stimulerait la croissance et améliorerait l’équilibre extérieur du pays.

Le FMI a également listé une liste des priorités pour le gouvernement libanais.

Il s’agit notamment de l’application stricte d’un programme de réformes solides et cohérents nécessaire au maintien de la confiance. Le rééquilibrage de l’économie dans le contexte d’un ancrage du taux de change nécessite la mise en œuvre d’un ajustement budgétaire important et crédible et de réformes structurelles ambitieuses. Seules une amélioration significative du climat des affaires et de la gouvernance du Liban peuvent stimuler les investissements, la croissance et les exportations.

Parmi les réformes stipulées par le budget 2019, l’objectif d’un déficit de 7,6% du PIB, qui visait à inverser les dérapages de l’année dernière. Il repose sur un grand nombre de mesures relatives aux recettes et aux dépenses, les plus importantes ne portant que sur trois ans, notamment:

  • l’augmentation de l’impôt sur les revenus d’intérêts de 7 à 10%;
  • une taxe de 2% sur les produits importés;
  • un gel des recrutements et des préretraites dans le secteur public.

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Les efforts budgétaires 2019 considérés comme insuffisants

Cependant, le déficit public réel, selon le FMI, devrait atteindre 9.75% du PIB soit bien au-delà des objectifs du gouvernement. L’institution note également certaines inconnues notamment concernant la capacité des autorités pour rembourser les obligations libanaises qui arrivent à échéance et de leur impact sur les fonds publics.
Le FMI juge les mesures proposées dans le cadre du budget 2019 insuffisantes:
Les économies résultant des réformes du secteur de l’électricité, devraient permettre de réduire le déficit primaire entre 2020 et 2022. Cependant, l’endettement public devrait continuer à croitre.
Ainsi, sans mesures supplémentaires, le FMI juge que le déficit primaire restera au-dessus de son niveau stabilisateur de la dette et le ratio dette publique / PIB, qui était déjà insoutenable, resterait en hausse.

Il est donc essentiel pour la viabilité de la dette qu’un plan budgétaire à moyen terme soit annoncé, fondé sur des mesures crédibles et permanentes, qui générera un excédent budgétaire primaire substantiel à moyen terme. Les services du FMI prévoient qu’un excédent primaire d’environ 4,5% du PIB serait nécessaire pour réduire sensiblement le ratio de la dette au PIB à moyen et long termes. Identifier et convenir des mesures nécessaires pour soutenir un tel plan pourrait renforcer durablement la confiance. Selon les plans actuels, environ 0,5% des mesures de recettes de 2019 seront permanentes et le plan actuel de l’électricité des autorités peut générer 2 points de pourcentage de plus du PIB en économies à moyen terme. Les autorités devront identifier et mettre en œuvre des mesures fiscales permanentes supplémentaires pour réaliser l’excédent primaire nécessaire.

Parmi les mesures préconisées, une nouvelle hausse de la TVA, de la taxe sur les produits pétroliers ou encore une lutte contre la fraude fiscale. Le FMI indique que la hausse de la taxe sur les revenues pourrait devenir permanente.
Il s’agira également de supprimer les exonérations sur des articles tels que les yachts immatriculés à l’étranger, le diesel utilisé pour la production d’électricité de quartier et certains véhicules routiers

Enfin, l’élimination des subventions accordées à l’EDL devrait figurer en bonne place. D’une part, il s’agira de convertir les centrales électriques utilisant le mazout en centrale à gaz et à augmenter d’autre part, le prix de l’électricité revendue aux consommateurs.

Toujours côté dépenses publiques, les dépenses globales en capital et en éducation sont faibles et pourraient devoir augmenter à moyen terme pour permettre une relance de la croissance.
Cependant, les dépenses en salaires et avantages sociaux dans le secteur public, y compris dans l’éducation, sont souvent inefficaces et offrent des possibilités d’économies.

Ces mesures devraient cependant s’accompagner de transferts en faveur des classes les plus vulnérables.

Côté réformes structurelles, elles sont décrites comme étant essentielles pour stimuler la croissance et améliorer la compétitivité par rapport à ses compétiteurs régionaux.

Le rapport note que le coût des affaires au Liban doit être réduit pour augmenter le potentiel de croissance. De même, compte tenu de l’ancrage monétaire, de profondes réformes structurelles renforçant les exportations seront essentielles.

La fourniture d’électricité, pour laquelle les autorités ont déjà approuvé un plan, et l’amélioration de la gouvernance constituent deux domaines de réforme prioritaires. En outre, la vision du gouvernement, CEDRE, propose des idées spécifiques sur les réformes à mettre en œuvre. Tous ces efforts sont nécessaires pour résoudre les déséquilibres extérieurs, même si certains événements positifs se concrétisent à long terme, notamment la mise en valeur de gisements de gaz et la résolution du conflit en Syrie.

Ils soulignent la nécessité de la transparence dans le cadre des projets publics notamment avec l’inclusion dans le budget des dépenses du Conseil pour le développement et la Reconstruction (CDR) et de l’adoption d’une loi sur les appels d’offres concernant les marchés publics.

La mise en place du plan concernant le secteur de production et de distribution de l’électricité publique ainsi que la lutte contre la corruption devraient être mis en oeuvre rapidement.

Pour rappel

Une politique monétaire couteuse visant à garder la parité entre Livre Libanaise et devises étrangères

La politique visant a conserver la parité entre livre libanaise et devises étrangères est décrite par le FMI comme étant couteuse et qui serait responsable de la diminution du taux de croissance économique.

Le FMI indique qu’u cours des dernières années, les opérations financières de BdL ont généré des rendements marginaux élevés en livres libanaises sur les nouveaux dépôts en dollars américains des banques à la BdL. Celles-ci ont dopé les avoirs en dollars de la BdL sans affecter les taux appliqués aux anciens dépôts de la BdL et à la dette publique. Ils ont également permis aux banques d’offrir des taux d’intérêt élevés à leurs propres déposants afin d’attirer de nouveaux financements ou de conserver les financements existants tout en maintenant leur rentabilité. Par conséquent, les titres d’État et les dépôts auprès de la BdL représentent désormais respectivement 14% et 55% des actifs bancaires, soit une exposition totale à la dette souveraine de 68,5% (plus de huit fois le capital de première catégorie).

La BdL a été contrainte d’adopter une politique monétaire restrictive pour compenser une politique budgétaire assouplie, ce qui a contribué à une diminution des prêts productifs à l’économie. Les opérations de la BdL ont permis aux banques d’offrir des taux de dépôt élevés pour conserver et attirer les dépôts qui financent depuis longtemps le double déficit du Liban. Cependant, ils ont également induit des taux de prêt élevés, le taux de référence en USD passant de 6,8% en novembre 2017 à 9,7% en juin 2019. Ils ont à leur tour exacerbé la baisse des prêts au secteur privé et la hausse des prêts improductifs résultant d’un contexte difficile. environnement économique. Ces évolutions soulignent l’urgence d’un ajustement budgétaire qui permettra d’abaisser les taux d’intérêt.

Par conséquent, la BDL devrait progressivement se retirer des opérations quasi budgétaires et renforcer son bilan. Il devrait se retirer des achats d’obligations d’État et laisser le marché déterminer le rendement de la dette publique. L’achat de la dette publique à faible taux proposée aggraverait le bilan de la BDL et minerait sa crédibilité. De même, les banques privées ne devraient pas être obligées d’acheter la dette à faible taux d’intérêt. La BdL devrait éliminer progressivement ses opérations financières une fois que l’ajustement budgétaire et la baisse des rendements demandée par les investisseurs le lui auront permis.

Le FMI rappelle enfin que des mesures devraient être prises pour continuer à renforcer les réserves de fonds propres des banques et à renforcer la garantie des dépôts. L’alignement total des pondérations de risque placées sur les avoirs des banques en instruments de la BdL avec les exigences de Bâle III constitue un bon mécanisme pour augmenter les rations concernant les fonds propres.

L’institution appelle aussi à l’abolition des comptes numérotés et donc du secret bancaire.