Beaucoup ont cru voir dans les derniers propos du Patriarche Béchara Boutros Raï, prononcés depuis le perron du Palais Présidentiel de Baabda, un Oui au Mariage Civil au Liban.
En effet, déclarer que le Prélat Maronite s’est prononcé en faveur d’une union civile, c’est aller un peu vite en besogne. La position de l’Eglise Maronite sur la question étant plus complexe.
Il répondait là à des questions sur la polémique suscitée par la Ministre de l’Intérieur, Raya Hassan qui s’était déclarée en faveur d’un mariage civil facultatif au Liban. Elle avait cependant déclaré qu’elle demandera au Premier Ministre de consulter, non pas l’église mais Deir el Fatwa. L’Eglise Maronite était donc jusqu’à présent laissée un peu de côté sur la question. Il s’agissait aussi pour le Patriarche de ne pas se laisser être marginaliser. Il fallait donc taper fort.
Beaucoup ont retenu une sorte de oui au Mariage Civil. Cela a été même le cas d’un site francophone, mais d’autres ne s’y sont pas tromper. Cela a d’ailleurs provoqué une sorte de polémique entre ceux qui souhaitaient comprendre ce qu’ils voulaient comprendre et d’autres qui allaient plus loin dans la réflexion à ce sujet.
En réalité, le chef de l’Eglise Maronite n’a fait que rappeler le positionnement de son institution lors des différents débats à ce sujet. Ces positions sont déjà proches de celles énoncées dans les années 1930, dans les années 1960 ou 1970 voir même celles énoncées en 1998 quand le Président de la République Elias Hraoui avait présenté un projet de loi instituant un Mariage Civil qui avait été adopté en Conseil des Ministres mais qui a été écarté par le Premier Ministre d’alors, Rafic Hariri.
Il faut décomposer en effet ces propos en plusieurs étapes, toutes nécessaires pour finalement comprendre que cela s’apparente plus à un « non, oui mais non quant même » et ainsi se placer dans un débat qui semblait jusqu’à présent lui échapper.
Un Non déjà théologique mais un oui au statut personnel civil
La première étape des propos du Patriarche Maronite a été de rappeler l’opposition théologique au Mariage civil. Rien de nouveau dans le domaine:
« Je suis maronite et , je dis aux maronites que le mariage est l’un des sept sacrements de l’Église. Vous devez les respecter. »
Ces propos indiquent tout simplement qu’une union civile ne sera pas reconnue par l’Eglise si elle n’est pas accompagnée par les sacrements des églises. Si union civile, il y a, elle ne sera par conséquent pas reconnue par l’Eglise.
Cela est déjà le cas notamment en France où le Mariage Civil – obligatoire – peut-être facultativement accompagné par la suite par un Mariage Religieux.
En 1998, l’Eglise Catholique avait établi une position officielle sur la question. Le mariage étant un des sept sacrements, il est de la compétence exclusive de l’Eglise. En cela, le Patriarche Maronite ne diffère pas de ses prédécesseurs.
Par contre, l’Eglise, et le Patriarche l’a rappelé, accepte un statut personnel civil – et donc de permettre aux autorités publiques elles-même de gérer l’état civil – pour tous, puisque le Mariage a des conséquences civiles, sur les questions d’héritages par exemple, sauf sur la question du divorce. Ils considèrent en effet que la dissolution d’un Mariage, tout comme une Union, ne peut être prononcée que par l’institution religieuse.
Un oui conditionné au oui des autres chefs religieux
La deuxième étape du discours du Patriarche a été de dire que
« si les autres sont pour le Mariage Civile, nous le serons aussi ».
Le Patriarche savait pertinemment que les autorités religieuses musulmanes et en particulier sunnites s’étaient déjà prononcées en défaveur du Mariage Civil. Deir el Fatwa était allé même jusqu’à traiter d’apostat ce qui y auraient recours.
La plus haute autorité sunnite au Liban, Deir el Fatwa, avait déjà catégoriquement rejeté la notion de Mariage Civil. Elle estime qu’une loi l’imposant contredisait la Loi Islamique.
Plus encore Deir el Fatwa évoque l’Article 9 de la Constitution Libanaise pour expliquer son refus. Selon l’instance religieuse sunnite, les dispositions de cet article accordent aux communautés religieuses le droit de légiférer sur le statut personnel qui doivent être consultées en cas de réformes à ce sujet.
Ces dispositions ont été encore renforcées par l’article 19 de l’accord du Taëf. Ces dispositions accordent aux chefs des communautés le droit de saisir le Conseil constitutionnel concernant les questions relatives au statut personnel, à la liberté de croyance, à la liberté des cultes et, enfin à celle de l’enseignement religieux.
Le refus d’une seule communauté est donc suffisant, selon Deir el Fatwa, pour faire avorter un projet de loi à ce sujet.
Le positionnement plus radical de Deir el Fatwa sur la question donne à paraitre que le positionnement de l’Eglise est plus modéré sauf que fin tacticien, le Patriarche Maronite a en fin de compte mis la balle dans le camp des autres communautés religieuses. Il a donc donné un beau rôle à son Eglise.
Oui si le Mariage Civil est obligatoire
Ce que beaucoup ont relevé est présent dans la 3ème partie du discours du Patriarche, une sorte de oui conditionnelle pour prétendre que l’Eglise Maronite serait en faveur du Mariage Civil. Le prélat a en effet déclaré un « oui si le Mariage Civil est obligatoire ». Il l’a cependant assorti d’une condition une union civile obligatoire pour tous, rendant ce scénario fort improbable.
« Nous ne sommes pas complètement contre le mariage civil, mais montrez-nous une loi facultative au Liban ou dans le monde. Les lois sont obligatoires »
Il a donc abordé le cadre lui-même d’une loi sur une Union Civile. Il estime qu’aucune loi ne peut être facultative mais qu’elle doit être obligatoire, sachant que justement les autres communautés religieuses sont contre un Mariage Civil obligatoire.
Or, historiquement, depuis la Création du Grand Liban, les communautés musulmanes ont toujours rejeté un cadre législatif ou légal définissant un statut personnel unique ou une union civile commune à toute la population.
Si un projet de loi établissant un Mariage Civil devait être approuvé au Liban, il devrait alors devenir obligatoire à toutes les communautés sans exception refusant un aspect facultatif à cette union civile.
Plus de précisions
En fin de compte, un positionnement historique de l’Eglise à ce sujet
En fin de compte, si on adopte une perspective historique sur la question et plus généralement sur la question du statut personnel civil, l’Eglise Maronite montre une certaine constance.
En effet, le Patriarche Béchara Boutros Raï n’a fait que rappeler le positionnement actuel de l’Eglise Maronite depuis les débats sur le statut personnel civil des années 1930 jusqu’à aujourd’hui. La question relative au Mariage Civil a toujours été rejetée par les communautés musulmanes, l’Eglise prenant un positionnement qui semble plus modéré mais qui au final ne fait que dire « si les autres l’approuvent, nous l’approuverons’.
Mais peut-être que charité bien ordonnée devrait commencer par soit-même…