L’affaire Mashrou3 Leila rappelait dès le départ qu’il fallait faire certaines concessions, les positions de son chanteur sur des sujets polémiques touchant notamment à l’homosexualité ou encore à la notion du sacré faisant polémique.
Le Liban n’est pas prêt à ce type de débat comme je le décrivais si bien précédemment, la région du Proche Orient ne l’est pas non plus, comme le démontrait déjà, les annulations précédentes des concerts en Jordanie, ou encore l’arrestation en Egypte de plusieurs de leurs fans.
Au final, toutes les partie-prenantes sont perdantes. Mashrou3 Leila est désormais interdit de monter sur scène dans son propre pays d’origine alors qu’il est adulé ailleurs y compris en Israël, les instances religieuses semblent certes avoir gagné leur bras-de-fer avec le groupe mais au prix où l’image même du Liban, pays message et pays exemple de tolérance dans notre région semble être écorné dans le monde.
Tant d’un côté que de l’autre, cela est le fait d’une minorité qui a fait beaucoup de bruits sur les réseaux sociaux, devenus vecteurs de mobilisation. La grande majorité de la population, elle, est déjà plus concernée par la crise économique, par les difficultés quotidiennes qu’elle affronte, par le simple fait de pouvoir survivre. Il n’était nulle question pour elle de se payer déjà une place à ce concert.
Cette polémique a, peut-être, comme intérêt majeur seulement, le fait de la divertir quelque peu dans ses difficultés quotidiennes au point où cela amenaient certains à s’interroger sur l’opportunité d’en faire prendre une ampleur qu’elle ne méritait même pas.
Mais cela, on ne pouvait que s’y attendre, dès la polémique était naissante. Il fallait rappeler la place encore majeure des débats autour du sacré de la religion dans notre région. Il y a 10 ans à peine, un immeuble d’Ashrafieh hébergeant l’ambassade du Danemark ayant été incendié par une foule d’islamistes en raison de la fameuse affaire des caricatures du Prophète, amenant même à la démission du Ministre de l’Intérieur d’alors, Hassan Sabeh, accusé de laxisme envers ces personnes.
Faut-il rappeler que chaque crise qu’elle soit politique, sociale voir même économique vire sur des accusations d’ordres sectaires au lieu de considérer le simple aspect technique comme cela est souvent le cas?
Mais même dans les pays considérés comme développés comme en France, si cela peut en consoler d’autres, il y a aussi ce débat, comme l’avait rappelé, il y a moins de 10 ans, la polémique au sujet d’une photographie intitulée Piss Christ au festival de la photo d’Avignon.
Tout comme à Byblos, les instances religieuses et la communauté des croyants avaient manifesté leur désapprobation. L’exposition a pourtant eu lieu en dépit des plaintes déposées et des appels à ce que ces oeuvres soient retirées.
L’oeuvre, elle-même, a été dégradée par des individus armés de marteaux et d’objets contondants et plusieurs gardiens qui tentaient de s’interposer ont été agressés et menacés.
Si cela a eu lieu en France, qu’est ce qu’on aurait eu au Liban, où le sang est autrement plus chaud et où la dimension du sacré est autrement plus importante en raison d’un fonctionnement communautaire?
Le comité organisateur du Festival International de Byblos a probablement pris conscience des risques posés quant à la sécurité, du groupe, de ses fans mais aussi des personnes souhaitant manifester leurs désapprobations. Cette affaire a fini par les dépasser.
Cependant, on ne peut que regretter l’absence d’une décision venant de l’Etat et allant dans un sens ou dans un autre.
Que les fans de Mashrou3 Leila se rassurent déjà, les goûts et les couleurs, cela se discute au niveau musical et ce groupe continuera à faire tourner les platines et à s’exprimer sur les scènes. Ils pourront également se rendre dans des pays où cette polémique n’aura pas lieu.
Mashrou3 Leila n’est pas Galilée avec sa fameuse phrase « et pourtant elle tourne », un homme brisé, martyr de l’intolérance, en raison des différences de pensée entre la science et l’Écriture sainte. Pourtant, l’histoire a fini par lui donner raison quelques siècles après.
Tout comme le globe de Galilée, ni le Liban ni la Terre n’ont pas cessé de tourner avec l’annulation de ce fameux concert. Ils avancent à leurs rythme dans un pays où la religion occupe une place encore centrale que cela soit sur un plan politique, voir même administratif, comme l’illustre la nouvelle polémique sur la distribution des postes de fonctionnaires selon l’appartenance religieuse ou encore sociale avec l’importance accordée à l’avis des institutions religieuses concernant le mariage civil.
Certains souhaitent que cette terre appelée « Liban » tourne plus rapidement et d’autres la souhaitent à l’arrêt. Elle y arrivera, ce pays étant un pays d’imprégnation culturelle, pour le meilleur et (plus souvent) pour le pire.
Il est cependant plus raisonnable que cela se fasse avec le momentum adéquat, parce que le pire est si vite arrivé dans notre pays. C’est par petit pas qu’on avance dans et avec « le bon sens » et non en forçant le rythme quitte à obtenir un grand retour en arrière en exacerbant les extrêmes.
Il y va du calme et de la Paix Civile du Pays des Cèdres. D’autres pays ne prennent pas ce genre de considération parce que ce facteur n’existe tout simplement pas chez eux.
Jusqu’à la prochaine affaire touchant la dimension du sacré ou la prochaine crise politique pour occuper la population.
Pour rappel