« La guerre ne se gagne pas sans l’Égypte, la Paix ne se fait pas sans la Syrie », c’est par cet adage que l’ancien secrétaire d’État américain Henry Kissinger résumait la situation au Moyen Orient, et par lequel, il faut comprendre l’embarras des Pays Occidentaux face à la réalité actuelle en Syrie, en proie, comme nous le savons tous, à des troubles internes faisant suite au soulèvement de certains pays arabes. Il faut donc recadrer et comprendre les motifs et les différences entre la Syrie d’une part, et ces mêmes pays arabes, à savoir la Tunisie, l’Égypte, la Libye et Bahreïn, pour ne pas évoquer le cas du Yémen également.
Le soulèvement tunisien a été précurseur dans la démonstration que des foules peuvent se rebeller avec succès face à un dictateur, à savoir Ben Ali. La Révolution du Jasmin a été un succès en raison surtout de son inefficacité à être corrélée à d’autres impératifs régionaux. Il s’agit en effet d’un pays du Magreb et non du Machreq ou du Golfe Persique qui sont des régions autrement plus « stratégiques », en raison d’une part de la proximité des Pays Arabes entourant Israël (cas de l’Égypte ou de la Syrie) et d’autre part, en raison de la proximité avec les approvisionnements pétroliers (Bahreïn ou Yémen) dont dépendent les pays occidentaux.
Le premier point est qu’il est totalement incohérent de comparer la situation des pays arabes avec celle des pays est-européens après la chute du mur de Berlin. Il s’agit d’une chose d’autant plus erronée que ces pays européens ont connu une période démocratique entre les 2 guerres, ce qui n’est pas le cas de la plupart des pays arabes en questions, qui ont connu ou une royauté de pacotille comme en Libye ou en Égypte ou une pseudo-démocratie émaillée de coups d’états comme en Syrie pour ensuite trouver un dirigeant-dictateur qui leur a apporté une stabilité certes mais au prix de la liberté. Le fait de prétendre alors que ces révolutions pourraient amener à l’élaboration d’un système politique est assez peu clair, le risque le plus important serait alors que cette période démocratique soit à son tour émaillée par des coups d’états jusqu’à ce qu’un dictateur arrive au pouvoir.
Un des modèles européens, si toutefois on souhaite imposer ce schéma, pourrait être celui de l’Espagne après Franco. Cependant, si on prend en compte que certains pays arabes comme la Syrie ou Bahreïn hébergent d’importantes minorités, on peut cependant douter de sa validité.
Je tiens également à préciser qu’on a actuellement un modèle malsain au Liban même ou des personnes se préoccupent des affaires internes syriennes. Ces ingérences sont doublées d’une connotation malheureusement sectaire propre à rappeler les causes de la guerre civile libanaise, avec notamment, une solidarité inter-sunnite transcendant les frontières libanaises, étrangement proche des schémas qui ont coupé cette communauté du concept de la nation libanaise pour se rapprocher du concept du Panarabisme et de la lutte palestinienne au nom de la solidarité entre pays arabes. On sait ce que cela nous en a couté au Liban, 100 000 morts et une guerre civile.
Nous examinerons quelques différences dont le cas de la Libye puis de l’Égypte et dans un deuxième temps, nous aborderons les cas des révolutions ratées, à savoir de Bahreïn et de la Syrie.
Mouammar Kadhafi ou comment se mettre à dos le monde entier.
Après s’être donné le rôle du chantre des causes arabes puis africaines, Mouammar Kadhafi s’est aliéné ses alliés naturels. S’étant donc coupé de ses soutiens naturels et de la solidarité inter-arabe, l’opération internationale visant à le déloger s’en ait trouvée facilitée. Face à cet isolement croissant, le dirigeant libyen avait compris, depuis un temps certain, que ses jours à la tête de ce pays étaient comptés. Il s’agit d’une des principales raisons expliquant son intérêt à l’achat d’armements occidentaux, notamment de Rafales en l’absence pourtant d’ennemis à proximité de ce pays. Le renoncement à l’arme nucléaire rentre dans le contexte d’une opération de charme vis-à-vis également de la communauté internationale.
La Libye constitue donc un cas particulier, puisqu’il s’agit d’un cas particulier n’étant en rien comparable aux autres pays arabes.
Le cas Égyptien
Une partie du soulèvement, la partie socio-économique était prévisible depuis une dizaine voir une quinzaine d’années, ce pays connaissant une croissance démographique importante (1.997% annuellement) sans pouvoir créer suffisamment d’emplois pour les jeunes arrivant sur le marché. Cette croissance s’accompagnait donc par une paupérisation de la population. Il fallait grosso modo créer un million d’emplois par an jusqu’en 2030 pour stabiliser la répartition sociale. Devant l’ampleur du défi, face à une économie dépendant principalement du tourisme, du passage de Suez et de quelques exploitations gazières, la situation ne pouvait qu’échapper au pouvoir en place, donc échapper à Hosni Moubarak.
La marginalisation de la politique étrangère égyptienne face à l’Arabie Saoudite dans un premier temps, puis même face à des pays mineurs comme le Qatar qui ont joué un grand rôle dans le règlement de la crise libanaise mais qui s’invite également au Yémen, voir en Libye et dans le reste des pays arabes qui connaissent des crises, mais encore plus la proximité du problème israélo-palestinien et l’alignement du Caire sur une vision israélo-américaine face au Hamas, ne pouvait qu’augmenter le mécontentement de la population égyptienne, mécontentement qui a fini par éclater.
Le retrait d’Hosni Moubarak, lâché par l’institution militaire, constitue en réalité, un moyen « pour sauver les meubles ». Il ne s’agit ni plus ni moins, d’offrir l’illusion d’un changement aux jeunes de la place Tahrir, sans que pour autant, puissent se produire de véritables changements socio-économiques ou de politique étrangère, la population égyptienne restant franchement partisane de la cause arabe et plus particulièrement palestinienne, expliquant en fait l’ouverture du passage de Rafah vers la Bande de Gaza soumise à un blocus israélien, mais le fond ne change pas, il n’y a pas remise en cause des accords sécuritaires avec l’état hébreu, tout comme il n’y a pas affirmation de l’Égypte dans un rôle majeur pour le Monde Arabe. Nasser est donc mort et son idéologie est enterrée par l’alignement des militaires égyptiens sur les intérêts américains et donc israéliens, aidés par une sorte de perfusion économique, l’aide militaire et financière faite par les USA à cette institution.
Bahreïn, démocratie ou dictature?
La contestation de Bahreïn a été présentée par la presse internationale comme une lutte entre majorité chiite pro-iranienne et minorité sunnite et cela s’inscrivait dans le schéma de lutte globale entre antagonistes sunnites contre chiites. Cette vision était d’autant plus importante que ce état héberge le commandement de la Vème flotte américaine. Pourtant, si on en croit les personnes sur place, la situation n’était pas aussi simpliste puisqu’au coté des chiites, il y avait également des sunnites désirant un profond changement pro-démocratique.
La fin de la contestation à Bahreïn est frappante, elle a été marquée par l’irruption de troupes saoudiennes dans cet micro-état contre le mouvement pacifique qu’avaient entamé les protestataires. On a également pu noter la destruction de mosquées chiites par les troupes saoudiennes, soutenues par le Conseil de coopération du Golfe.
La Syrie ou le manque d’alternatives face à Bachar el Assad.
La situation actuelle en Syrie est marquée par un manque d’information et de propagande ne permettant pas d’avoir une grille de lecture suffisamment documentée afin de comprendre réellement le déroulement des opérations. On peut citer notamment le cas de l’auteur du Blog GayGirlinDamascus qui se disait avoir été enlevée par des hommes du régime syrien. Cette information est aujourd’hui guère crédible, l’auteur en question ayant emprunté son image à une habitante de Londres et on a découvert via son adresse IP d’ailleurs que son blog est tenu depuis Édimbourg et intervient régulièrement dans les articles pro-israéliens sur Wikipedia… Le cas de Hamza – ce jeune garçon torturé et émasculé – pourrait être également l’objet du manipulation des médias d’après d’autres informations qui indiquent que ce jeune homme serait bien mort lors de sa saisie par les forces de sécurité, mais aurait été victime d’une chute – le coup du lapin -, son corps ayant été remis à sa famille sans avoir été l’objet d’un quelconque acte de torture. Donc prudence sur les informations en provenance actuellement de Damas, il ne faut pas réagir à chaud mais attendre de voir comment elles se décantent.
Ce qu’on peut cependant remarquer est que manque d’alternatives au président syrien Bachar el Assad et les risques de voir la Syrie basculée dans une instabilité chronique voir dans un conflit avec Israël pousse les pays occidentaux à la prudence. Cette prudence avait déjà été observable lors de l’assassinat du premier ministre libanais Rafic Hariri et le retrait syrien du Liban. C’est faute d’alternative crédible que Bachar el Assad et son régime ont été sauvé, l’opposition à ce dernier étant constituée à l’époque par l’ancien vice président syrien Khaddam et le frère de feu Hafez el Assad, Rifaat el Assad dont le curriculum vitae est plutôt « sanguin » en raison de son implication au Liban et dans la répression en Syrie, allié pour l’occasion aux Frères Musulmans, seul parti capable de compter sur une certaine popularité face au Parti Baath contrôlant les rouages des services de renseignement et de l’armée. Nous pouvons observer qu’à l’époque, Khaddam, qui s’était déjà vu offrir un hôtel particulier parisien par Rafic Hariri, s’était vu être accompagné par le fils, Saad Hariri, lors d’une audience accordée par le Roi Abdallah d’Arabie Saoudite, un des principaux acteurs caché des révolutions avortées dans le Golfe Persique.
Le deuxième paramètre est la situation géographique, géopolitique et démographique de la Syrie.
L’accord militaire avec la Russie, héritière de l’Union Soviétique illustre l’intérêt stratégique posé par la Syrie. Il s’agit d’un pays ayant un rôle pivot, illustré par le maintien d’une base de la marine russe, la possible vente de missiles anti-missiles SS 300 et la première visite d’un dirigeant russe, Medvedev, en mai 2010.
Sur un plan interne, les risques de guerre civile en Syrie aboutissent à l’exaspération des désirs indépendantistes de certaines minorités dont les kurdes en particulier, ce qui ne pourrait guère convenir aux intérêts turcs, la Turquie ayant déjà par le passé, été dans l’obligation d’intervenir pour les mêmes raisons dans le Nord de l’Irak, afin de mettre un terme au soutien logistique posé par les milices kurdes locales à leurs homologues coté turc. Sur un plan plus régional, la proximité avec Israël pose certains problème. Face au dilemme occidental de la constitution possible d’une république islamique Syrienne, les autorités israéliennes ont compris qu’un saut dans l’inconnu pourrait leur en couter plus que le simple renversement de Bachar el Assad, un ennemi bien commode en quelque sorte, ayant permis d’obtenir une situation bien calme dans le Golan.
Seuls pays ayant un intérêt au renversement de Bachar el Assad, il s’agit de l’Arabie Saoudite en particulier, ayant perdu un allié de poids avec la chute d’Hosni Moubarak en Égypte et ses principaux responsables politiques dénonçant « l’axe chiite et allaouite » avec l’alliance Syro-Iranienne, au détriment des responsables des services diplomatiques saoudiens qui, eux, minimisent ces risques, comme l’ont révélé les cables de Wikileaks. On pourra donc comprendre – à tord ou à raison – les accusations syriennes de l’implication de Bandar Ben Sultan, dans le début des troubles à Daraa, via un soutien financier et logistique au travers de la Jordanie, ou le soutien en sous main du premier ministre libanais Saad Hariri aux mutins du régime de Damas, avec les accusations d’utilisation du réseau de télécommunication sans-fil, Ogero, illégal au Liban même. Il s’agirait d’un plan monté avec l’aide du sous-secrétaire américain en charge des affaires du Proche Orient, Jeffrey Feltman.
Le deuxième paramètre est que toute reprise à large échelle du conflit israélo-arabe et non cantonnée au Liban seul, pourrait renforcer le nationalisme arabe qui n’est plus un courant laïc mais un courant islamique, mettant à mal une transition démocratique dans des pays comme l’Égypte ou comme la Jordanie, ses alliés indirectes en quelque sorte. Face à ce conflit, il pourrait se voir constituer une nouvelle alliance des pays arabe « face à l’entité sioniste », une remise en cause en quelque sorte des accords de Camp David et de l’immobilisme qui en a résulté avec les échecs prévisibles des différentes conférences de Paix, Madrid en 1994, la première, à la dernière, celle d’Indianapolis, l’année dernière.
La chute de Bachar el Assad serait d’autant plus catastrophique pour la région, puisqu’à la place d’un dictateur sanguinaire, ce ne serait pas 100 000 morts comme ceux de la guerre civile qu’on pourrait obtenir mais plutôt à l’Irakienne comme le redoutent les minorités syriennes, avec des exécutions de masse.
Peut on prétendre à une transition démocratique en Syrie?
Le seul modèle à peu près proche serait l’Espagne et Juan Carlos, comme Bachar el Assad a pu se débarrasser de l’ancienne garde de son prédécesseur, l’un a pu poursuivre la transition, l’autre non, vraisemblablement en raison de rigidité d’un système ne permettant pas la démocratie. Il y a un problème au niveau de hétérogénéité de la population syrienne avec des forts relents séparatistes et religieux. (et on peut en voir les conséquence notamment sur le pays basque, alors image la Syrie avec les kurdes, les alaouites et les sunnites fondamentalistes de Hama)
Cela amène à la conclusion obligatoire que si Bachar el Assad tombe, ce qui n’est pas probable ou improbable, on aura peut-être une période d’instabilité avec un soit disant processus démocratique comme dans les années ayant amené à l’avènement de Hafez el Assad, puis une nouvelle dictature plus forte, avec une connotation islamique évidente et avec des visées expansionnistes notamment au Liban. En quelque sorte, cela serait un grand retour en arrière pour le Pays des Cèdres.
Conclusion
La conclusion à cette vision des révolutions arabes est qu’on ne peut être que pessimiste par rapport à l’avenir, on ne peut qu’être prudent par rapport au devenir de ses révolutions, seront-elles démocratiques, on peut en douter, Rome ou Paris ne s’étant pas faits en un jour, une démocratie ne pouvant être possible dans un pays qui ne l’a jamais connu. L’exemple irakien démontre que les risques sont d’autant plus importants dans des structures démographiques hétérogènes comme le cas de Bahreïn ou de la Syrie. On ne peut qu’être vigilant face à une possible situation de démembrement et de recomposition allant dans le sens du « Nouveau Moyen-Orient » professé par les USA durant le conflit israélo-libanais de juillet 2006, avec l’exacerbation des tensions et de la haine communautaire au-delà même des frontières actuelles.