Il est loin le temps ou des jeunes filles s’occupaient de moi en France, femmes aux blouses légères qui laissaient fantasmer l’adolescent que j’étais. Aujourd’hui mon coiffeur est moins jeune et plus velu, qui a dû en voir du pays et des histoires ou anecdotes racontées par le simple quidam à la célébrité locale, en réalité décérébrée. Moi, ce que je préfère, c’est mon silence, pesant certes mais c’est un moment de détente, à entendre discuter les autres des affaires du Pays. Ils se remémorent leurs gloires passées au travers d’anecdotes, on dirait qu’ils ont inventé la poudre au sens figuré et même parfois au sens propre, Liban oblige, histoires de guerre, de combattants de la vie…
Mon coiffeur – Joe – se croit important, normal, il voyage à Monaco, coiffer un richissime libanais, milliardaire de son état, en vue, il lui envoie même son avion privé et profite, le temps d’un weekend, des coulisses d’une pseudo-cour, en réalité des miracles – il est bien éloigné de la réalité quotidienne pour un temps. Là-bas, pas de problèmes d’électricité, le séchoir marche à temps plein, aucune interruption à prévoir, le brushing tombera bien.
Retour à Beyrouth, « mafi Kahraba », le moteur se met à tousser, il est déjà usé, pourtant il n’a qu’une seule année. Sur le mur, le portrait de son bienfaiteur, il faut lui rendre hommage, il s’agit presque d’une coutume où les financiers ont remplacé les seigneurs féodaux d’autrefois, plus de Khazen, Gemayel, ils reçoivent leurs chèques comme les autres. Place aux Hariri, Farès et autres Mikati ou Safadi. Plus question de religion, c’est celle de l’argent. Mon coup-tiff raconte à qui le veut ses aventures monégasques, le temps d’un massage par son assistante, elle aussi passée d’âge. Dans le temps, il employait une jeunette, elle a disparu … mariage peut-être? Un client du Salon, alors?
Un client, arrive, short de plage, il s’assoit, jambes écartées, lisant son An-Nahar quotidien comme le pain, buvant son café arabe aux relents odorants corsés, « buvant » comme on dit au Liban, sa cigarette. Une discussion s’entame.
Le client: Rahit el Kahraba ?Wein Motor? (NDRL, L’électricité est partie? ou est le moteur?)
Joe: Où tu habites?
Le client: A Rabieh, là-bas aussi, pas de Kahraba. Mais le pire, le 3ajaa (NDRL, les embouteillages).
Joe: Mais avec le Ramadan, « c’est moins que les autres années ».
Vive en fin de compte les révolutions arabes, les touristes du Golfe manquent à l’appel, au grand désespoir des hôtels grand luxe comme ceux de passe de Mameltein – les moldaves qui ont remplacé les russes et autres ukrainiennes, n’ont plus la côte. Le Liban est devenu le plus stable des pays arabes, titrait encore l’hebdomadaire The Economist au début de cet été. Certains veulent accuser la nouvelle majorité de cet état de fait. Pourtant, tout va bien au Pays des Cèdres, hormis l’électricité. Ils s’écharpent au gouvernement, sitôt sorti de crise en janvier. Cela faisait une éternité qu’on semblait ne plus avoir vécu cela. Gébran veut un chèque en blanc de 1.2 milliards de dollars – comme cela était pourtant chose courante durant l’ère Hariri – pour construire une centrale de 700 mégawatts, Joujou, le seigneur de Moukhtara refuse. L’affaire n’est pas aussi simple qu’il n’y parait:
A l’insu du public, ce n’est pas la Kahraba qui est en jeu, mais s’installe un nouveau rapport de force: Le seigneur du Chouf ne veut pas que la loi électorale mettant en place la proportionnelle ne passe. Il y perdra ses brebis « égarées ». La communauté druze ne pourra plus faire élire – menaces à l’appui – les députés chrétiens – pourtant majoritaires dans le Chouf – comme elle l’entendrait. Cette même loi permettra également à ses alliés actuels, Mikati et Safadi de se faire réélire à Tripoli sans passer par les « sympathisants » mais islamistes de Denniyeh et diminuerait le poids électoral du Courant du Futur à Zahlé, chose acquise par un déménagement de l’état civil de sunnites du Nord Liban vers la « mariée de la Békaa » comme ses habitants la nomment.
Bref, politics as usual dans un Orient compliqué.